Dernier bastion
Dans la conquête des places fortes masculines, les femmes aux cheveux courts n'ont pas de limites. Parce qu'en s'appropriant les codes du genre, elles effacent les différences et tendent vers une étape de l'égalité entre hommes et femmes.
Aujourd'hui en matière de coupe de cheveux, rien n'est plus vraiment féminin ou masculin dans l'esprit des plus hardies. Celles-là ont volontiers adopté la nuque rasée et les oreilles bien dégagées, sans aucune intention de ressembler à qui que ce soit, encore moins un garçon, juste pour l'envie d'un style qui leur plait.
Dans cette tempête de styles, il restait 2 marqueurs de genre sur lesquels on pouvait encore s'accorder. La coupe "au carré" pour le féminin et la coupe "en brosse" pour le masculin. Eh bien même ça n'est plus vraiment certain.
La première, Eve Salvail, super model des 90's, égérie de JP Gaultier, avec son dragon tatoué sur son crâne rasé, avait montré qu'on pouvait le faire.
Oui bien sûr c'est pour beaucoup une question de nature de cheveux, un peu raides et naturellement dressés quand on les coupe assez court, mais n'empêche... Et quand on est pas un supermodel, mais juste une jeune femme, tomboy, enthousiaste et stylée eh bien ça marche aussi!
Ainsi le dernier bastion d'un style qu'on disait "masculin" est bien en train de se casser la gueule.
Amen.
"A blanc"
Dans certains milieux l'expression "A blanc" qualifie couramment quelque chose qui est sans effet, qui est juste utilisé pour "faire mine de". Un tir à blanc aura toute l'apparence d'un tir réel, mais ne blessera personne. Mais ici, l'expression est au sens propre et se réfère à la couleur blanche qu'aurait la peau mise à nu. Et là par contre l'effet est bien réel, comme une plongée dans l'extrême, un besoin d'aller encore plus loin, plus à fond. L'habitude des cheveux très courts peut être là depuis longtemps, le goût du dégradé bien affirmé, bien fondu avec le reste de la coupe, ça devient assez tendance. Certains magazines considèrent même cela comme LA coupe unisexe de l'année. Bref! On normalise.
Cependant pour certaines, suffisamment n'est pas assez! Et arrive le moment où chez le coiffeur, habituée à son image, on a envie de plus encore. Comme une sentence on annonce la couleur: à blanc! Et là ce n'est pas pour faire mine, après la tondeuse et sa lame 0000 qui monte, monte sur la tempe et dévoile la peau "presque" nue, c'est le rasoir qui achève l'œuvre et révèle la pâleur de la peau. L'air qui passe sur les cervicales va faire frissonner, les oreilles semblent plus sensibles elles aussi à la température, on est dans l'extrême! Pourtant on retrouve une certaine harmonie, le contraste avec la chevelure plus épaisse ne heurte pas, au contraire. Les doigts qui bientôt vont courir sur la nuque littéralement rasée vont rencontrer une nouvelle sensation, une douceur inattendue.
Autant dire que cette audace peut rapidement rencontrer une terrible satisfaction, de celles qui poussent à l'addiction, sans parler du style ainsi affirmé, là où le genre n'existe plus...
Danger zone
C'est un secret. Un secret bien gardé ou ignoré. Et toutes celles qui l'ont découvert, bien sûr, n'en font pas étalage. Normal, c'est un secret... Quelques unes, malicieuses, prennent soin de bien raser leur nuque pour que leurs propres caresses soient aussi délicieuses que celles d'un être aimé.
La nuque est la zone érogène numéro deux chez l'humain. Surprenant? Eh bien oui parce que c'est un secret... A ce carrefour entre cerveau et moelle épinière, la moindre caresse, un baiser, une morsure, un ongle qui griffe ou la tiédeur de la lame d'une tondeuse provoquent chez certain.e.s ce petit agacement électrique qui irradie presque tout le corps. Peut être que celles qui gardent leurs cheveux longs, le font par pudeur, pour préserver ce lieu sensible? Peut être que d'autres, celles qui aiment l'avoir toujours bien rasée, le font par gourmandise, se réjouissant toujours de ce geste qui durant quelques jours aura valeur d'un onanisme dissimulé, cette caresse de la main remontant sur les cheveux ras. Allez savoir?
Toujours est-il que la zone est dangereuse pour qui s'y aventurerait sans connaître la puissance de son pouvoir...
Etonnant, non?
Les préjugés, c'est là leur moindre défaut, fabriquent pour nous des images déformées, tronquées ou complètement erronées. Ainsi, si je parle de l'Arabie Saoudite, on imagine un régime patriarcal plutôt sévère, où les femmes n'ont pas beaucoup la liberté d'être elles mêmes. Eh bien en pensant cela je me fichais le doigt dans l'œil jusqu'au coude apparemment. En parcourant mon Instagram, je découvre sur le compte de mon ami argentin @barberiasdelmundo, la vidéo d'une jeune femme à l'allure androgyne chez un barber comme souvent sur ce compte. J'approfondie, cherche l'origine de la vidéo, suis le lien et me retrouve sur le compte @gap.thebarber et son enseigne "Zero Gap" tout le reste écrit en arabe. Intéressant! Et bientôt je découvre que ce coiffeur talentueux exerce son art à ... Riyad, capitale de l'Arabie Saoudite! Et là je tombe de ma chaise. Alors comme ça, en Arabie, il y a des jeunes femmes, androgynes, qui adoptent des coupes de cheveux remarquables, qui bousculent les codes de la masculinité et qui se montrent sans voile.
Mais alors ielles sont qui? Des révolutionnaires, des anarchistes, des groupes clandestins qui se retrouvent les nuits sans lune dans des lieux secrets pour se faire tondre les cheveux?
Visiblement non! Certaines même sont influenceuses, revendiquant l'androgynie avec près de 300k abonné.e.s... WTF?
Bon ok, pas de quoi non plus aller penser que les saoudiennes vivent au paradis du "be yourself". Mais tout même...
https://www.instagram.com/gap.thebarber
https://www.instagram.com/barberiasdelmundo/
L'habit et le moine
Il y a fort fort longtemps ( et j'ai l'âge requis pour dire ça ) quand un garçon avait les cheveux qui touchaient à peine le haut de ses oreilles, il y avait toujours quelqu'un pour le sermonner en affirmant que cette négligence risquait de le faire confondre avec une fille. Aujourd'hui, dieu merci ce genre de chose fait sourire. D'ailleurs même les plus conservateurs n'imaginent pas confondre un homme avec une femme sur le seul critère de la longueur de ses cheveux. On peut dire que cette " ineptie" est passée, a disparue... Et pourtant.
De nos jours est ce qu'on se figure encore que parce qu'une femme se coupe les cheveux très court elle prend le risque d'être confondue avec un homme? Est-ce qu'il y a des personnes qui sont capables de lui en faire la remarque et de la "sermonner" comme on le faisait aux jeunes garçons du passé? La réponse est: Oui!
Je ne cesse de me réjouir de mon époque où de plus en plus de jeunes ( et pas que ) femmes, ont assez d'audace ( il en faut parfois, si si ) pour s'affranchir de codes ancestraux, dictés par je ne sais quels hurluberlus, imposant des règles esthétiques et vestimentaires à l'autre moitié de la population de la planète. Et ça marche! Aujourd'hui encore je ne connais pas une femme aux cheveux courts à qui l'on ait pas fait le reproche d'avoir coupé ses cheveux, d'avoir ainsi "porté atteinte" à sa féminité ( au regard des seuls hommes, bien sûr ). Pire encore, on soupçonnerait certaines aux oreilles bien dégagées et à la nuque toujours fraichement rasée, de vouloir être des hommes, comme s'il suffisait d'un coup de tondeuse pour changer de sexe. Le seul fait d'évoquer autant de connerie me rend morose... Et pourtant c'est la réalité.
Mais gardons espoir. Tout comme les remontrances faites dans le temps aux garçons à propos de leurs cheveux longs, peut être qu'un jour celles faites aux filles pour leurs cheveux ( trop ) courts ne seront plus qu'anecdote qu'on racontera en souriant.
Grain de folie
Depuis le temps que tu y penses, hein? Cette folle idée qui revient presque régulièrement, aussi fréquemment que tes rendez vous chez le coiffeur. A chaque fois que tu oses un peu plus, à chaque fois que, pour te satisfaire, ta coiffeuse complice passe une tondeuse de précision sur ta nuque frileuse que tu as hâte de caresser. Et ce sentiment d'invincibilité qui t'encourage en plus... Seule devant ton miroir cette fois, tu t'ébouriffes, passes et repasses tes mains aux doigts largement écartés à travers tes cheveux courts, de plus en plus courts. Tes ongles griffent le cuir chevelu, le sommet de ton crâne, cette peau sensible et électrisent tout ton corps d'un frisson qui dégringole le long de ton épine dorsale...
Comme tu aimes ça, te faire peur, un peu, te dire que tu vas le faire, un jour, te raser la tête, complètement, comme ta nuque qui picote la pulpe de tes doigts... Mais pas encore, pas encore, parce que malgré tout ça te fait peur. Le regard des autres, la crainte de ta propre image. C'est un peu comme se mettre nu devant les gens. Mais y a-t-il jamais un bon moment pour faire ça? Tu imagines à quel point ton cœur va battre fort, ohlala oui! Puis tu vas sourire, même rire de ce nœud dans ton estomac qui petit à petit va se dénouer, tu vas frissonner en passant ta main sur ta tête cette fois tondue pour de bon et finalement te trouver belle, toujours et extrêmement libre et ce sera comme cette cigarette que l'on savoure, apaisé, après avoir fait l'amour.
Iel bordel!
Ah ça oui, ça énerve! Dans ce vieux monde un peu sclérosé, on a du mal a admettre les nouveautés et les changements. Ça chagrine ma concierge d'être confrontée à tant de bouleversement. Mais je la comprends un peu malgré tout. Cette pauvre femme a été toute sa vie confrontée à la grammaire et à l'orthographe sans plus trop savoir à quel saint se vouer, elle qui encore aujourd'hui va " au coiffeur" ou emprunte volontiers les vieux magazines quand elle va "au dentiste" ou était y a pas si longtemps au mariage "à sa cousine"...
Alors vous comprenez, un nouveau pronom. Pourtant si on peut encore trouver discutable quelques nouveautés qui cherchent à inclure tout le monde dans nos rédactions, cette contraction de il et de elle pour désigner avec justesse une personne qui justement n'est ni il ni elle, on peut par contre trouver ça judicieux. En tout cas je trouve ça bien pratique, tout comme celleux, agréable raccourci pour ne pas avoir à écrire "celles et ceux".
Et puis surtout, c'est le pronom qui manquait pour affubler ces merveilleux androgynes qui sont toujours à mes yeux ce métissage parfait de masculin et de féminin, équilibre idéal de genre. Le problème c'est que l'humain moyen persiste à confondre sexe et genre, empêtré qu'il est encore dans "le masculin qui l'emporte", les pyjamas bleus et les camions de pompiers quand on lui parle de garçon. Pourtant j'en connais qui ont un corps parfait, avec un sexe de fille et de petits pectoraux en guise de sein, qui ont les joues imberbes et coupent leurs cheveux bien courts, aiment jouer au foot et courir la forêt avec leur chien, trouvent les robes bien jolies... sur une jolie fille et voudraient qu'on arrête de les appeler "mademoiselle". Alors oui, ielles méritent bien qu'on fasse un petit effort de langage pour respecter celleux qui malgré l'harmonie incarnée, restent tiraillé.e.s entre sexe et genre.
La Légende
C'est la mythologie grecque qui nous raconte la légende. Celle d'êtres monstrueux, difformes, ayant à eux seuls tous les caractères de l'homme et de la femme, avec deux visages quatre bras, quatre jambes et deux appareils génitaux ce qui leur permettait de se reproduire sans sexualité... Autant d'originalités les conduisit immanquablement à se croire l'égal des dieux. Cet orgueil déplut à Zeus qui dans sa colère les coupa en deux, séparant à jamais le masculin du féminin.
Il y a cependant aujourd'hui et depuis longtemps, des êtres humains, ayant sans doute échappés au courroux divin, qui ont hérité de cette mythologie, produisant en un même corps l'équilibre parfait du masculin et du féminin, si parfait que tous les autres ont du mal à distinguer l'un de l'autre en eux. Ils ont perdu leur monstruosité, allient force et finesse, grâce et harmonie et se dénuant de tout artifice sexuel deviennent désirables aussi bien pour les hommes que pour les femmes...
C'est cet idéal dont il faut faire l'apologie, admirer et mettre en valeur. Là où certain.e.s ne ressentent que malaise il faut qu'iels trouvent une chance inouïe d'être à la fois l'un et l'une en cultivant le meilleur de chacun.e
Lettre à une androgyne
Chère toi,
Oui j'ai décidé de te parler au féminin, mais j'aurais pu tout aussi bien m'adresser à toi au masculin, ça ne change rien. Pour moi tu es l'un et l'autre, ou plutôt ni l'un ni l'autre. Je t'écris ces quelques mots pour te dire à quel point je suis fier de toi, peut être même jaloux ( oui je sais, c'est mal ). Quelle chance tu as! Tu vas dire que c'est facile pour moi de dire ça, alors que toi souvent tu ne vois qu'injustice, dysphorie, anomalie... Parfois tu voudrais bien toi aussi rentrer dans les cases, faire disparaitre ce corps qui n'est pas celui qui convient.
Pourtant je persiste, tu as une sacrée chance d'être tout à la fois, ni garçon, ni fille. Et crois moi, ni tes vêtements, ni ta coupe de cheveux n'y changeront rien. Mais oui je sais, ça te fait du bien. Tu te souviens, petite, comme tu fuyais dès qu'il était question de te faire porter une robe, cette peur panique presque, qu'on fasse de toi une jolie poupée... Tes larmes quand on brossait tes cheveux longs, qu'on y posait de jolis nœuds ou des barrettes ridicules, alors que tu réclamais à cor et à cri qu'on t'emmène chez le coiffeur comme ton frère... Les lèvres fendues dans les bagarres avec certains qui ne voulaient pas te laisser jouer au foot avec eux, les genoux écorchés par l'écorce des arbres auxquels tu grimpais comme un petit singe... , Parce que oui, avant d'être belle androgyne sortie de ta chrysalide, tu étais un petit "tomboy", ce garçon que dans ta tête et ton cœur tu es depuis toujours.
Te voilà enfin, débarrassée des envies des autres, telle que tu t'es voulue, mais pas garçon, non, ce serait manquer d'ambition. Oui tu te délectes à porter leurs vêtements, parce que c'est pratique et confortable. Oui tu adores faire raser tes cheveux comme certains, parce que le regard de celleux que cela dérange te fait sourire, parce que cette ambiguïté est ton arme absolue... Oublie les tourments du genre! Tu es unique
Militante #women_shortcut_campaign
Il y a parfois un sexisme ordinaire qui résonne plus fort que les autres. Question de culture sans doute? Et c'est là quelques fois que l'on se rend compte à quel point l'Extrême Orient est loin de nous.
Résumé des faits: Aux derniers JO de Tokyo, la championne de tir à l'arc sud coréenne An San, remporte 3 médailles d'or. Bien joué! Chez nous on l'aurait peut être vue remonter les Champs Elysées sur un bus à impérial pour ça. A Séoul non. On lui reproche son image qui ne correspondrait pas suffisamment à celle traditionnelle de la femme coréenne. En cause, sa coupe de cheveux jugée trop courte. Parce que voyez vous, au Pays du matin calme, les femmes aux cheveux courts sont plutôt mal vues. Grâce ou plutôt à cause des réseaux sociaux, l'affaire prend de l'ampleur, à tel point que la riposte est nécessaire et se traduit par un élan inattendu qui pousse bon nombre de femmes à travers le monde à se rendre chez le coiffeur. On coupe, puis on y va de son selfie sur les réseaux accompagné du hashtag #women_shortcut_campaign. Action, réaction.
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Le mouvement est si virulent que tout le monde en vient rapidement à traiter l'archère de féministe. Parce que voilà en fait le vrai problème. En Corée comme dans beaucoup de pays d'Asie, au Japon, en Chine aussi, sous des dehors de libéralisme économique, la femme reste malgré tout dans un rôle subalterne et traditionnellement " à la maison". Alors An San, du haut de ses 20 ans, avec sa coupe de cheveux de garçonnet et malgré sa réussite sportive exceptionnelle est vite suspectée de tous les stéréotypes du genre, féministe militante, lesbienne on en passe et des meilleurs.
Il n'en reste pas moins que le mouvement suscité par le hashtag a révélé une vertu supplémentaire aux cheveux courts. Celle de s'opposer symboliquement, mais très explicitement au patriarcat, où que ce soit dans le monde. Pas mal non?