Filles des rues
Elles n'attendent personne et filent à travers les rues de la ville sur leur cruiser. Parfois on les retrouve en bande et chacune aime montrer sa planche devenue oeuvre d'art. A leur vêtements et à leurs cheveux courts, on devine qu'elles se moquent du genre et des grincheux qui reprochent aux filles des allures de garçon. Rider est leur art de vivre et la rue le domaine que parfois on leur accorde. Alors les longboards sont de sortie et on les voit, intrépides, surfer le macadam et s'enivrer de sensations. Ces filles là sont sans peur.
Des fois leurs planches sont accrochées au mur d'un salon de tatouage ou chez le coiffeur qu'elles fréquentent. Elles ont la peau encrée et la nuque fraîche, parlent d'art et de techno, veillent jalousement sur leur liberté.
Elles sont un mélange de Gavroche et d'Eponine, ces filles qui transforment les rues de la ville en terrain de conquête, filant dans la pente au soleil rougissant, charmants cowboys solitaires...
Photo: Eugène M Wood de State of Grace Workshop
Une envie de blondeur
Depuis le temps qu'elle en rêvait... Si on lui pose la question, elle répond: "Depuis toujours!" C'est une idée qu'elle avait depuis longtemps, mais la rangeait au rayon des fantasmes, de ces choses à la fois improbables et futiles, mais pourtant obsédantes.
Un jour elle s'est sentie assez forte, dans une situation qui ne la laissait pas à la portée des haineux qui auraient pu la tourmenter. Elle s'est fait confiance et seule, dans un coin isolé, s'est mise en tête à tête avec elle même... Après avoir cent fois tourné autour de l'objet, elle l'a pris dans sa main, l'a soupesé, l'a jaugé... Puis les yeux dans les yeux, face au miroir, elle a soulevé la mèche sur son front, encore une fois, donnant à son visage un aperçu d'une nouvelle physionomie. Elle a respiré fort et quand le petit moteur de la tondeuse a claqué en démarrant, son coeur s'est un peu emballé, un court instant. Elle s'est souri, un sourire de défi, un rictus ironique, puis s'est jetée dans l'action. Les tempes d'abord, subjuguée par la facilité et la cruauté sans remord avec laquelle les lames effaçaient sa chevelure, glissant sur la peau et hachant les cheveux pour ne laisser après son passage qu'un velours presque soyeux.
Enfin, la tête nue, après avoir fignolé chaque détails, vérifié que rien n'avait été oublié, le silence s'est fait, à nouveau et les deux mains se sont appropriées ce crâne, palpant, caressant, effleurant cette matière nouvelle, faisant naître une excitation inconnue.
Plusieurs semaines passées, elle a voulu un coiffeur, parce qu'il fallait donner de la blondeur à ce nouveau visage. Et puis cette douceur acquise, il y a eu cette alchimie provoquant des nuances allant du presque blanc au presque sombre, donnant des reflets de fourrure, comme un renard argenté, à sa chevelure épaissie...
Elle a ri de toutes ses peurs, s'est moqué de ses appréhensions. Sous ses doigts les cheveux drus se couchaient et reprenaient leur place comme les blés mûrs chahutés par le vent. Elle était fière et cette fierté la rendait belle.
Un soir à la plage
C'était hier à la Grande Plage bohème, un restaurant estival, comme on en trouve sur nos côtes du Sud. Ce soir là Constance, Pupu, Nanou et Kim, les Paper Boat Sailors, donnaient un concert pour fêter la sortie de leur tout premier album Loners at Sea.
L'occasion pour Les Femmes Aux Cheveux Courts du coin de se retrouver elles aussi autour de cette petite fête. Et ce fut merveilleux
Rendez vous pour l'Apéro #3... un de ces jours.
Photos: ©jeaneg
T'es une fille ou un garçon?
Je ne suis pas spécialement soupe au lait, mais puisqu'on est dans les coups de gueule, j'aimerai autant en profiter.
Enfin "coup de gueule", ce n'est pas vraiment le mot... Il s'agirait plutôt d'un coup de marteau sur un clou qui sans cesse ressort de la planche qu'on voudrait lui voir tenir. Il faut s'y résigner, il y a des choses comme ça, qui ne changeront pas tant que l'éducation des garçons ( mais pas que... ) sera négligée.
Passons sur le sempiternel " Bonjour jeune homme ... Oups! Pardon, mademoiselle" que certains balourds trouvent encore intelligent et subtil d'user pour faire connaître le peu de considération qu'ils ont pour les femmes qui s'écartent de la ligne de conduite de la dogmatique société patriarcale.
Un peu plus décérébré, plus jeune aussi peut être, il y a le benêt, qui en bande en général, n'hésite pas à interpeller la jeune femme aux cheveux courts qui rentre tranquillement chez elle et la harcèle tout au long du chemin en lui demandant si elle est un garçon ou une fille," rapport à ta coupe de ch'veux modèle bidasse! "
Pour ma part, j'imaginais que ce genre de chose était une fois pour toute archivée au rayon " conneries du passé". Eh ben non! Il y a encore de ces mâles reproducteurs qui toujours trouvent légitime d'aborder les gens, les jeunes femmes en général, c'est tout de même statistiquement plus facile et moins risqué, pour les interroger sur leur genre, comme ils le feraient sans doute aussi bien sur leur sexualité.
C'est pas le moment d'inventer encore un nouveau mot à base de phobie. Comme pour le reste, il n'y a pas plus de phobie là dedans que de beurre à la cantine. C'est juste un manque...
Manque d'intelligence, manque d'éducation, manque de connaissance, manque d'ouverture d'esprit... Enfin manque de tout quoi! Malheureusement, sur le coup, il n'y a pas grand chose qui puisse être fait. Ignorer les cons me semble l'attitude la plus honorable, juste avant le coup de pied dans les couilles. Oups! Désolé...
Le besoin et la nécessité
1. Caractère nécessaire, indispensable de quelque chose; action, fait, état, condition qui doivent obligatoirement être réalisés (pour atteindre une fin, répondre à un besoin, à une situation). Nécessité absolue, indispensable; nécessité pratique, morale; faire qqc. par nécessité, sans nécessité; en cas de nécessité.
Situation de manque ou prise de conscience d'un manque.
Alors voilà, posé comme ça, les choses sont claires. Non parce que, ce qui échappe parfois à celles et ceux ( oui je sais, on peut dire celleux, mais c'est un peu moche... ) qui ne comprennent pas trop les femmes aux cheveux courts, c'est que ce n'est pas juste une mesure cosmétique ou une façon d'apparaître. C'est pour la plupart bien plus fondamental que ça.
Certaines éprouvent le besoin de se faire couper les cheveux et pour d'autres c'est une absolue nécessité. Parce qu'il y a voyez vous, une foule de lectures sur cette grille là. Quand par choix, par goût, par envie, on aime avoir les cheveux courts, le besoin c'est juste d'avoir une coupe toujours impeccable, propre, nette et élégante qui regonfle le moral de folie et accroit assurance et confiance en soi.
Et le degré au dessus, c'est la nécessité, l'urgence, l'obligation, l'exigence qui réclame une coupe encore plus courte, une détermination sans faille à être cette personne qui est farouchement féminine et le prouve aux yeux de tous en ne gardant que le stricte minimum de cette manne qui aux yeux des autres est le seule apanage de la féminité. Enfoncer le clou, encore plus loin dans la cervelle de celles et ceux qui interrogent bêtement et sans vergogne et font semblant d'ignorer le genre de cette femme aux cheveux courts, aux oreilles nues et à la nuque rasée. C'est la tondeuse qui lave l'affront et donne la réponse.
Une légère contrariété
J'ai parfois le sentiment que le monde marche un peu à l'envers. Oui enfin... Les motifs de le penser ne manquent pas, surtout que là, en l'occurence, c'est quelque chose d'assez récurent et finalement pas très nouveau...
Mais lorsqu'une jeune femme aux cheveux courts, fraichement débarquée dans une ville nouvelle se met en quête d'un nouveau coiffeur et que, par goût, par choix, par envie, elle se dit qu'elle aimerait bien se faire couper les cheveux dans un salon pour homme, connaissant tous les avantages qu'elle pourrait en tirer et que ces derniers lui ferment leur porte... comment dire? Ça m'énerve, voilà!
On va me dire: "En voilà de la compassion. Il y a tout de même bien des choses plus graves que ça, non? Je sais pas moi, la faim dans le monde, la guerre en Érythrée, Secret Story..."
Alors oui, bien sûr, on peut toujours relativiser. Si la jeune femme ne parvient pas à faire raser sa nuque comme elle le souhaite, elle n'en mourra certainement pas. Enfin j'espère...
Mais ce qui m'exaspère un peu c'est que les salons pour hommes, en particulier les "barbiers" qui depuis quelques temps pullulent et cultivent les hypsters comme d'autres la batavia, manchettes tatouées et barbe en tablier, se fabricant des décors vintage à faire pâlir de jalousie les barbershops londoniens, sans motif valable refusent de couper les cheveux des femmes qui ne veulent rien d'autre qu'une coupe "masculine"
Cette forme de discrimination m'agace, lorsqu'on considère le genre comme un pré-requis, sans doute de peur de nuire à une image fabriquée de toute pièce, d'un salon temple de la masculinité.
Dieu merci, les vrais coiffeurs, eux, sûrs de leur savoir faire et de la qualité de leur service, as du fade et des nuques bien dégagées, ne font pas tant de chichis et se régalent d'avoir sur leur fauteuil quelques androgynes ou femmes dont les cheveux courts ne mettent pas en danger leur féminité... ni la virilité du lieu.
Il n'y a pas de hasard. Il n'y a que des rendez vous
Comme aurait dit Eluard, j'avais rendez vous ce jour là, avec Noella. Un de ces rendez vous qui s'inscrivent dans un agenda auquel ni elle ni moi n'avons accès, mais sur lequel il y a peu de ratures...
C'était écrit donc! Cette idée d'aller là plutôt qu'ici pour boire un verre avec Cindy, d'y rester discuter assez longtemps pour que l'heure arrive et croiser l'élégante silhouette de cette femme aux cheveux ras...
C'était écrit donc! Quelle vienne ce jour là à cette heure là dans cet endroit là, avec son amie Camille, pour manger un morceau avant de se rendre à l'événement qui les avait conduites jusque dans ma grande ville du Sud. Ce soir là et pas un autre... Les rendez vous de cet agenda sont incontournables...
Je me suis arrêté, on a échangé quelques mots et nos réseaux. Noella est une femme aux cheveux courts. Mais pas seulement parce qu'elle a décidé, un matin d'il y a peu, de se raser la tête. Non, depuis ( presque ) toujours elle est femme aux cheveux courts. Elle en a l'assurance et le charisme. Elle séduit sans vraiment le chercher, conjugue l'authentique et le sexy et n'a pas cette fausse pudeur des jolies femmes qui persistent à nier qu'elles sont belles.
J'ai aimé son style, rock bon genre, recherché, bien dosé, sa Casio dorée, son bomber qui se prend pour une parka et son short sur ses jambes hâlées...
A la perspective de ce rendez vous, elle avait, deux ou trois jours auparavant, découvert le blog, sans même savoir que ce jour là son auteur viendrait faire sa connaissance.
C'était écrit et nous ne le savions pas...
Citation: Paul Eluard
Photos: ©jeaneg
Pure et dure
Je ne suis vraiment pas contre les paradoxes. Au contraire même, je pourrais dire que par certains côtés, je les cultives moi même... C'est en regardant cette photo de Ruth Bell que je me dis: " Bon sang d'bois! C'est tout de même pas banal que dans le monde de la mode, où on drague les plus jolies filles de la planète pour donner envie à toutes les femmes d'acheter des vêtements et des accessoires, ce soit souvent ( presque à chaque fois ) celles qui décident d'être le moins possible dans le stéréotype féminin qui sortent du lot."
Alors c'est quoi? Un caprice de styliste, un pied de nez des directrices d'agence, une blague de créateur? Choisir un mannequin pour son audace, son caractère, son originalité, c'est nouveau ou bien?
De ce point de vue et pour la petite histoire, le cas de Ruth Bell est vraiment emblématique parce que, Ruth et sa soeur jumelle, May, font toutes les deux ce métier. Sauf qu'aujourd'hui, personne ne connait May Bell, alors que les pages de magazines sont remplies des photos de Ruth
Il a suffit que pour l'un d'eux elle se laisse tondre les cheveux, pour que tous les autres se l'arrachent. Alors depuis, cette coupe spectaculaire qui ne devait être qu'un "coup", est devenu une sorte de marque déposée, ©ruthbell quoi.
Mais finalement, à bien y regarder, ce qui est vrai pour les topmodels l'est aussi pour les filles de la rue, même si elles ne sont pas chanteuses, musiciennes ou danseuses. Alors oui, il y a parfois des accidents, des expériences, des périodes, qui provoquent le passage à l'acte et la course folle d'une tondeuse à travers les bouclettes. Et puis dès que c'est fait, on attend patiemment que ça repousse. Mais il y a aussi les pures et les dures, celles qui décident un jour que cette petite tête qu'elles se sont fait, sera désormais leur marque déposée, à elles aussi.
Tu t'imagines
De ta jeunesse tu fais un roman où tu es mille personnages différents. Lorsque toutes cherchent sans se trouver, imitant des rôles convenus sans originalité, tu t'inventes à chaque fois nouvelle, indifférente à ce qu'on te trouve belle. Ainsi embarquée sur ton vaisseau, tu remontes les courants, mets ton nez dans le vent et imagines plus qu'un style, une époque.
D'un béret fichu sur ta tête dont dépassent les mèches blonde d'une coupe au carré, tu fais une révolution cubaine. Un pantalon militaire, une paire de boots et l'étoile rouge sur le front, on a envie de te demander un cigare de la Fábrica Partagás, et te voir brandir le poing.
Tu peux être qui tu veux d'un simple accessoire, les cheveux coupés courts que tu ébouriffes, leur blondeur délavée et les bijoux d'argent qui cliquettent à tes oreilles, te donnent l'air d'une londonienne des 70's, qu'on croiserait devant la boutique BOY sur King's Road
D'une robe sage tu fais une rock star et d'une chemise d'homme bien trop large un costume de pirate. Parce que ta jeunesse déborde et que les torrents de ton imagination ont brisés toutes les digues et les conformismes. Tout cela ne durera peut être pas, il faut en jouir maintenant...
Tout de suite.
Pour passer le temps
C'est après tout une distraction comme une autre, d'observer l'agitation du monde autour de soi, lorsque soi même on a pas de raison de s'agiter. Il est donc là, promenant son regard au dessus de la foule bruissante, devinant les humeurs de ces gens pressés, leur billet à la main, inquiets des horaires, ou affichant plus d'assurance en trainant leur bagage avec nonchalance.
Elle, ne semble pas sur le point de partir, elle ne semble pas non plus arriver. Appuyée à une borne de billetterie, on dirait qu'elle n'attend personne. Et tout à coup sa flamboyante blondeur domine toute la grisaille des gens laborieux qui s'affolent, tête baissée.
Il la voit plutôt de profil et trouve, contre toute attente, sa silhouette sensuelle. Elle a les cheveux d'une blondeur extrême, qui surmontent sa tête comme un panache, alors que sa nuque est presque rasée, tout comme le tour de ses oreilles. Cela allonge joliment son cou, qu'il trouve gracile et découpe la forme de son crâne.
Une chemise à carreaux, plutôt rouge aux manches à peines retroussées, un short en jean dont le bleu s'oppose aux tonalités de la chemise, de jolies jambes, galbées et bronzées...
De temps en temps elle passe une main sur sa nuque, s'y attarde, comme lorsqu'on réfléchi.. Il voit ses longs doigts fins jouer sur le velours des cheveux ras. Il sourit et croit lui voir faire la même chose, comme si elle savait qu'il la regardait. Troublé, il baisse son regard, mais il n'y a définitivement qu'elle au milieu de cette foule, pour nourrir sa curiosité. Alors il y revient, distingue une légère pâleur qui contraste avec le bronzage de son cou et lui indique que sa coupe de cheveux est toute récente. Cela le fait sourire à nouveau, ramenant des souvenirs de rentrée des classes de son enfance... Il est séduit, voudrait la connaitre, décide de l'approcher. Mais brusquement la jeune femme disparait, engloutie par la foule, grise et monotone qui absorbe jusqu'à sa blondeur extrême...
Illustration: Flora Vercruysse