maria
Le départ
L'offensive avait permis de prendre une petite bourgade au contrôle de la Junte. Mais faute d'approvisionnement, trois jours plus tard et sous la pression des militaires, le retrait était inéluctable. C'était ma dernière mission avec Maria. Le lendemain je devais rejoindre la zone de largage habituelle où un Caracal viendrait m'arracher à cette jungle. L'instant paraissait mal choisit aux yeux de Roberto et de sa troupe, mais les diplomates n'ont jamais les mêmes visions des choses que les guerriers.
Le désordre ambiant nous importait peu. Maria savait qu'elle devrait rester seule et tenir l'entrée du bourg le plus longtemps possible pour couvrir la retraite de ses compagnons. Nous avions aménagé le poste de tir à l'étage d'une grosse maison, en retrait. Silencieux l'un et l'autre on sentait la tristesse nous envahir. J'ai tendu la main pour caresser son cou mais elle a esquivé, puis brusquement elle m'a fait face et s'est collée à moi, m'embrassant éperdument. J'ai caressé sa nuque à nouveau rasée. La veille de l'offensive elle avait fait tailler ses cheveux par l'autre femme avec sa tondeuse, comme pour effacer de son esprit cette histoire avec le gringo, redevenir Jeanne d'Arc, se concentrer sur l'essentiel. Je n'étais pas essentiel dans la vie de Maria et sans doute demain m'aura-t-elle oublié...
Elle fit passer son débardeur par dessus sa tête, ébouriffant ses courtes mèches et ses seins ronds s'écrasèrent sur moi. Elle m'entraina sur le lit de la pièce d'à côté et nous fimes l'amour, comme des sauvages, le pantalon sur les chevilles.
Au crépuscule elle me laissa partir.
Photo: Maria
Maria the killer
Il faut du sang froid, pour, après être resté à l'affût des heures, délivrer la mort et voir tomber sa cible à travers sa lunette. Un ou deux fiers à bras avaient jalousé Maria quand Roberto lui avait attribué le M24. Des tireurs médiocres qui pensaient que tirer avec un fusil à lunette leur faciliterait la tâche. Les explications ne suffisant pas il avait fallu les humilier un peu en les laissant faire la démonstration de leur incompétence. La Leupold du M24 grossit 10 fois et multiplie d'autant les erreurs du mauvais tireur. Il faut comprendre le vent, la chaleur du soleil, faire corps avec son arme en faire le prolongement de son esprit. Maria faisait tout cela d'instinct. Dans la fureur d'un assaut ou d'une embuscade les combattants ne voient pas vraiment la mort frapper leurs adversaires. Ils tirent beaucoup, touchent parfois, distinguent des silhouettes qui tombent. Maria ne manquait jamais sa cible. Le coup parti elle gardait l'oeil sur sa lunette pour voir le visage grimacer quand la balle ne faisait pas éclater la tête...
Je n'étais pas sensé participer aux opérations de guérilla. Les conséquences que pouvaient entraîner la capture ou la mort dans un accrochage d'un "conseiller" étaient incalculables pour le petit groupe et pouvaient remettre en cause l'aide qui leur était apportée.
Pourtant j'avais convaincu Roberto de me binômer avec Maria pour être son spotter. Nos actions se situaient souvent loin des batailles et des escarmouches.
Maria s'était endurcie et pourtant son allure s'adoucissait. Ses cheveux retrouvaient un peu de longueur, encadrant son visage d'ange. Notre complicité dans l'action se poursuivait dans l'intimité et je savais bien que cela ne plaisait pas à tous...
Photo: Emily Wroe by Justin Hollar
L'apprentissage de Maria
Maria apprenait vite. Sa formation m'obligeait à passer beaucoup de temps avec elle. Ses progrès en tir étaient constant et elle pouvait déjà engager des objectifs à plus de 800 mètres. Durant des journées entières nous parcourions la sierra pour l'entraîner au tracking, à l'orientation, au camouflage. Elle pouvait rester des heures à l'affût, dissimulée sous son filet, complètement furtive.
Je lui servais de spotter, observant l'objectif pendant qu'elle le mettait en joue et effectuait les réglages de son arme... Plus d'une fois je me suis surpris à quitter la vision à travers mon monoculaire pour poser mon regard sur sa nuque, tanée par le soleil, où les cheveux étaient rasés par la tondeuse... Jour après jour j'éprouvais une sorte de fascination pour cette fille, belle malgré la tenue de combat et le camouflage et si forte dans son caractère et sa volonté. Je l'estimais et la respectais pour ça, au point d'imaginer que je la prendrais sans hésiter parmi mes équipiers...
De retour au campement dans l'après midi, le reste de la journée fut consacré à la remise en condition. Le soir venu, seul sous mon carbet, mon esprit était revenu vers Maria.
A la nuit tombée, dans l'obscurité, une ombre glissa sous la toile et vint se coller à moi dans le sac de couchage... Elle sentait bon le savon de marseille, et sa peau était encore plus douce que ce que j'avais imaginé... Habilement elle se plaça sous moi et guida mon membre avant de se mettre à onduler et presque sans bouger, silencieusement elle se laissa aimer.
Photo: Trish Goff par Alasdair McLellan
Compañera
Parmi les armes parachutées il y avait un fusil à lunette. Un bon vieux M24 US, une carabine Remington 700 que je connaissais bien, avec son optique Leupold. J'avais bien une idée derrière la tête, mais il fallait laisser Roberto, le chef, décider lui même de l'affectation des armes nouvelles. Je me contentais donc d'énumérer les qualités requises pour un tireur de précision, pour ne pas laisser Roberto sur cette idée fausse que le gabarit du tireur doit correspondre au poid de l'arme. Patience, détermination, intelligence, initiative, sang froid et persévérence. Toutes les qualités d'un chef devaient animer un bon tireur de précision et déjà je voyais qu'il pensait à la même personne que moi. Il fit mine de réfléchir un instant puis lâcha :" Maria!"
Maria avait le regard pétillant d'un enfant devant les jouets sous le sapin de Noël. Mais très vite elle reprit une attitude plus martiale et avec des gestes précis elle empoigna le fusil, le soupesa, vérifia la culasse et l'épaula. Ses mèches brunes qui recouvraient la crosse contrastaient soudain avec sa nuque rasée. Elle se tourna vers moi, relevant le menton, toujours dans cette attitude de défi, et lança fièrement: " Vamos gringo, montre moi, apprend moi".
C'est ce jour là je crois que l'histoire a vraiment commencée...
Photo: Pol Bassal
Maria
Le parachutage terminé, la petite colonne se remit en marche après avoir chargé les mules. La tension ne retombait pas pour autant. Les deux passages du C130 avaient peut être attiré l'attention de la junte et il fallait disparaître au plus vite vers notre sanctuaire. Avec discipline chacun remplissait son rôle parfaitement. Maria, qui m'avait guidé jusqu'au camp le premier jour, marchait devant, en éclaireur. Cette fille était affutée et j'aimais le professionnalisme avec lequel elle évoluait. Elle avait conquit son rôle, abandonnant les autres femmes du groupe aux tâches subalternes et plus traditionnelles. Elle portait une arme et son charisme faisait l'admiration de ses compagnons.
La veille, alors que je l'observais depuis mon carbet, Miguel m'avait averti:" N'y penses même pas gringo. Maria elle ne vit que pour la cause. C'est comme une Jeanne d'Arc pour nous..."
L'image était plutôt bien choisie. Ce jour là justement elle faisait couper ses cheveux. La mèche qui barrait son visage avait disparu sous les coups de ciseaux et la femme qui la coiffait semblait s'acharner à raser sa nuque avec une tondeuse mécanique. La coupe terminée, elle écarta de ses épaules le poncho qui les protégeait et s'ébroua comme un animal, passant la main ensuite sur sa nuque elle remercia sa coiffeuse et ramassa son arme. Loin de toute séduction elle parvenait quand même à me fasciner.
"Tu vois gringo, Jeanne d'Arc. Elle est belle hein?"
Photo: irwin romain jules arthur