tendresses
Et demain?
Elles ont grandi ensemble, enfants bousculées par la vie tumultueuse des adultes. Trop petites sans doute pour comprendre elles ont vu s'éloigner un père pourtant aimant et dériver une mère attentionnée. Leur monde s'est donc façonné ainsi, déchiré entre deux pôles où finalement plus personne n'était heureux. Mais la vie des adultes ce n'était pas leur affaire. Le mal était fait et la blessure inguérissable. Chien et chat, elles ont tenté, comme on le leur montrait, d'être égoïstes et solitaires, juste survivantes d'un amour disparu... Dans la jungle infantile il fallait se battre pour jouer sa partition. Petits soldats aux sourcils froncés, elles ont enfoui leurs émotions, nageant à leur surface.
C'est le temps qui érode tout, les creux comme les bosses. Reste le deuil des bons sentiments, les regrets de ne pas avoir eu sous les yeux la preuve irréfutable de l'amour qui les fit naître. C'était pourtant pas dur...
" Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules et c'est fatiguant pour les enfants de toujours leur donner des explications"
Photo: Keisuke Ogata Harper's Bazar
Citation: A. de St Exupéry - Le Petit Prince
Réminiscence
Voilà trois jours que j'ai ce portrait de Sybil Rondeau sous les yeux. Et depuis trois jours j'ai ce sentiment étrange de retrouver quelqu'un que je connais mais sans savoir qui exactement. Et je n'arrive pas à m'en défaire. Ce corps étroit, ce visage grave, ces cheveux lisses et brillants qui tombent comme un voile sur le visage... Et puis ce matin j'ouvre une nouvelle page, j'y colle cette image, un peu recadrée. Malgré le grain les cheveux y paraîssent toujours aussi soyeux, denses et incapables de la moindre boucle. Le "marcel" perd son âme, il devient féminin, sensuel, voir érotique. Mais l'allure malgré le vêtement et ce bijou discret reste masculine. Cette image m'interpelle, interroge mes souvenirs mais je ne parviens pas à écrire...
En désespoir de cause je cherche une musique qui saurait accompagner ce portrait étrange et délivrer mon inspiration. Les accords de basse d'une vieille série... Alors c'est comme un puzzle resté des jours sans solution qui soudain s'emboite naturellement... Comment s'appelait-elle? Nous dansions et ce corps façonné par le sport excitait mes sens. Cette mèche, la même, glissait sur son visage... Elle avait un prénom sans genre mais tout le monde l'appelait Do. C'est elle! C'est bien elle qui ressurgit à ma mémoire, adorable garçonne de mon enfance. Dominique, la parisienne. Elle avait les cheveux plus longs, raides et fluides, coupés droit et deux barettes dégageaient son visage. Mais très vite elle est apparue avec les cheveux courts, très courts et c'était excitant de la voir avec cette coupe de garçon, cette mèche dans les yeux et la nuque rasée. Elle était sans complexe et naturelle. Autant dire que cela faisait sensation dans ce petit coin de province...
C'était donc elle qui frappait à mon esprit avec cette photo, traînant un cortège de nostalgie, de souvenirs étranges, d'amour et de regrets...
Modèle: Sybil Rondeau
Une blessure étrange dans ton coeur
Suzanne takes you down to her place near the river
You can hear the boats go by
You can spend the night beside her
And you know, she's half crazy
It's why you want to be there
She feeds you tea and oranges
That come all the way from China
And just when you mean to tell her
You have no love to give her
She gets you on her wavelength
And she lets the river answer
You've always been her lover
And you want to travel with her
And you want to travel blind
And know she will trust you
For you've touched her perfect body with your mind
Jesus was a sailor
When He walked upon the water
And He spent a long time watching
From His lonely wooden tower
And when He knew for certain
Only drowning men could see Him
He said,"All men will be sailors then
Until the sea shall free them"
But He, Himself was broken
Long before the sky would open
Forsaken, almost human
He sank beneath your wisdom like a stone
And you want to travel with him
You want to travel blind
And you know he will find you
For he's touched your perfect body with his mind
Suzanne takes your hand now
And she leads you to the river
She is wearing rags and feathers
From Salvation Army counters
And the sun pours down like honey
On our, our lady of the harbor
She shows you where to look
Among the garbage and the flowers
There are heroes in the seaweed
There are children in the morning
They are leaning out for love
And they will lean that way forever
While Suzanne holds the mirror
And you want to travel with her
You want to travel blind
And you know she'll find you
For she's touched your perfect body with her mind
Texte: Leonard Cohen
Photo: Daniela Vladimirova
Le parfum de Brett Ashley
C'était le fantôme d'Hemingway qui rôdait par là... Il lui venait à l'esprit les héroïnes de ses romans, la troublante lady Ashley ou Catherine Bourne... Des femmes de qualité à l'allure souvent ambiguë, mêlant leur féminité absolue au costume d'homme ou à la coupe de cheveux de collégien. Il pouvait imaginer en la regardant être au soleil du Grau du Roi ou dans les arênes de Pampelune, dans le Paris entre deux guerres ou la Côte d'Azur année 50. Il y avait dans son sillage les effluves d'un parfum réputé qui contribuait à lui tourner la tête. Sûr que le vieil Ernest aurait trouvé un héros à la mesure de cette femme s'il l'avait eu, comme lui, sous les yeux. Lui même en aurait été amoureux puisqu'il savait si bien décrire ces détails dans ses romans. Et comme si la jeune femme entendait ses pensées, elle abandonna sa main sur sa nuque, laissant les doigts nonchalants caresser ses cheveux tondus... A la différence des garçons, les lignes n'étaient pas franchement marquées et le duvet courait plus bas sur la peau, ayant échappé au rasoir qui aurait délimité sans pitié la coiffure d'un garçonnet. La texture était douce, soyeuse, animale et elle semblait se délecter à sa caresse.
Il aurait pu comme Robert Jordan, murmurer à l'oreille de Maria comment ses cheveux allaient repousser, ou comme David Bourne écouter le récit du passage de sa femme chez ce coiffeur de Biarritz. Cela lui semblait naturel en cette circonstance.
Rompant le charme de cet instant, d'un clin d'oeil il congédia le fantôme du vénérable écrivain, posa une main sur l'épaule de sa compagne et lui attrappa la nuque avant de l'embrasser...
Photo: Silvia Arenas par Albert Madaula
Références: Le soleil se lève aussi - Le jardin d'Eden - Pour qui sonne le glas
La peur du sot
C'est ton ignorance qui te fait peur. Ce que tu ignores t'effraie. Te voilà soudain troublé par cette androgyne, son allure de garçon, ses cheveux courts et ses hanches étroites. Et tu lui en veux, sans la connaître, d'être elle même et de paraître indifférente. Pourtant tu la désires tout autant que tu t'en veux de la désirer. Tu as peur de toi même parce que tu crois que ce sentiment naissant t'entraîne dans la perversité et ce monde que chacun a cherché à te faire haïr, depuis toujours. Et dans tes certitudes tu l'imagines cultiver à dessein ce style ambigu, juste pour provoquer les esprits simples qui comme toi croient aux choses trop compliquées...
Elle, la jolie garçonne, a bien moins de certitudes, juste à la place de tous tes tabous, l'envie d'aimer et de l'être à son tour, affranchie des codes malsains qui voulaient, à elle aussi, faire croire que pour aimer il fallait des conditions.
Et tout à coup tu te sens soulagé de la voir embrasser une fille et ton angoisse disparaît pour laisser la haine s'installer. Te voilà légitime dans ta rancoeur et absout de tes mauvaises pensées... Pourtant si c'était un garçon à qui elle avait sourit, tu lui en aurais voulu tout autant, par dépit, de te voir délaissé pour un autre... Pauvre sot.
L'amour n'a pas de genre, il n'est fait que d'envie et de désir partagé.
Modèle: Dani Shay
Cette rose qui meurt...
Cette rose qui meurt dans un vase d'argile
Attriste mon regard,
Elle paraît souffrir et son fardeau fragile
Sera bientôt épars.
Les pétales tombés dessinent sur la table
Une couronne d'or,
Et pourtant un parfum subtil et palpable
Vient me troubler encor.
J'admire avec ferveur tous les êtres qui donnent
Ce qu'ils ont de plus beau
Et qui, devant la Mort s'inclinent et pardonnent
Aux auteurs de leurs maux,
Et c'est pourquoi penché sur cette rose molle
Qui se fane pour moi,
J'embrasse doucement l'odorante corolle
Une dernière fois.
Sur la mort d'une rose - Raymond Radiguet ( 1903-1923 )
Modèle: Kate Kondas
Révision
Elle a son corps de garçon, presque en contre-jour. Un corps gracile, souple, musclé et cette silhouette le trouble, l'excite même. Elle a coupé ses cheveux, courts, comme lui et accentue encore cette ambiguité, qui en ombre, se dessine contre la lumière du matin. Pourtant ce n'est pas le doute qui le réjouit. Imaginer un instant une passion, un amour pour un garçon... Au contraire. C'est cette certitude de la connaître, de la savoir femme. Le sentiment est étrange... Comme si auparavant il ne la voyait pas, enfin pas tout à fait. Peut être l'image d'une femme dans sa féminité convenue. La question ne se posait pas, comme une routine, cette habitude que l'on prend de ne plus voir les choses qui sont en permanence sous nos yeux. Tout à coup chaque détail le séduit, la finesse de ses doigts, la délicatesse de ses épaules, les hanches et la courbure des reins. Soudain tout cela lui semble différent... Et puis... Et puis ce cou élancé, fin et robuste, ces oreilles, ce profil, jusqu'au battement de ses cils. Il a du mal à mettre de l'ordre dans ses pensées, se dit qu'il est stupide. Il la voyait femme, a cru un instant voir un éphèbe et réalise qu'elle est la féminité toute entière.
Photo: Picols
..D'autres que toi sont venues
Bien sûr, j'ai d'autres certitudes
J'ai d'autres habitudes
Et d'autres que toi sont venues
Les lèvres tendres, les mains nues
Bien sûr
Bien sûr j'ai murmuré leurs noms
J'ai caressé leur front
Et j'ai partagé leurs frissons.
Mais d'aventure en aventure
De train en train, de port en port
Jamais encore, je te le jure
Je n'ai pu oublier ton corps
Mais d'aventure en aventure
De train en train, de port en port
Je n'ai pu fermer ma blessure
Je t'aime encore.
Bien sûr, du soir au matin, blême
Depuis j'ai dit : " je t'aime "
Et d'autres que toi sont venues
Marquer leurs dents sur ma peau nue
Bien sûr
Bien sûr pour trouver le repos
J'ai caressé leur peau
Elles m'ont même trouvé beau.
Bien sûr j'ai joué de mes armes
J'ai joué de leurs larmes
Entre le bonsoir et l'adieu
Souvent pour rien, souvent par jeu
Bien sûr
Bien sûr, j'ai redit à mi-voix
Tous les mots que pour toi
J'ai dit la première fois.
Mais d'aventure en aventure
De train en train, de port en port
Jamais encore, je te le jure
Je n'ai pu oublier ton corps
Mais d'aventure en aventure
De train en train, de port en port
Je n'ai pu fermer ma blessure
Parce que je t'aime
Je t'aime encore
Je t'aime encore
Je t'aime encore
Texte: S. Lama
Mélancolie
Ont-ils oublié leurs promesses
Au moindre rire au moindre geste
Les grands amours n’ont plus adresse
Quand l’un s’en va et l’autre reste.
N’est-il pêché que de jeunesse
N’est-il passé que rien ne laisse
Les grands amours sont en détresse
Lorsque l’un part et l’autre reste.
Reste chez toi
Vieillis sans moi
Ne m’appelle plus
Efface-moi
Déchire mes lettres
Et reste là
Demain peut-être
Tu reviendras
Gestes d’amour et de tendresse
Tels deux oiseaux en mal d’ivresse
Les grands amours n’ont plus d’adresse
Quand l’un s’en va l’autre reste.
Ont-ils chagrins dès qu’ils vous blessent
Au lendemain de maladresse
Les grands amours sont en détresse
Lorsque l’un part et l’autre reste.
Des tristes adieux
Que d’illusion
Si c’est un jeu
Ce sera non
Rends-moi mes lettres
Et reste là
Demain peut-être
Tu comprendras
Ils n’oublieront pas leurs promesses
Ils s’écriront aux mêmes adresses
Les grands amours se reconnaissent
Lorsque l’un part et l’autre reste.
Texte: Nathalie Rheims
Modèle: Christie Turlington
Les yeux bleus
Plus bleu que le bleu de tes yeux
Je ne vois rien de mieux
Même le bleu des cieux
Plus blond que tes cheveux dorés
Ne peut s'imaginer
Même le blond des blés
Plus pur que ton souffle si doux
Le vent même au mois d'août
Ne peut être plus doux
Plus fort que mon amour pour toi
La mer même en furie
Ne s'en approche pas
Plus bleu que le bleu de tes yeux
Je ne vois rien de mieux
Même le bleu des cieux
Si un jour tu devais me quitter
Et t'en aller
Mon destin changerait tout-à-coup
Du tout au tout
Plus gris que le gris de ma vie
Rien ne serait plus gris
Pas même un ciel de pluie
Plus noir que le noir de mon coeur
La terre en profondeur
N'aurait pas sa noirceur
Plus vide que mes jours sans toi
Aucun gouffre sans fond
Ne s'en approchera
Plus long que mon chagrin d'amour
Même l'éternité
Près de lui serait court
Plus gris que le gris de ma vie
Rien ne serait plus gris
Pas même un ciel de pluie...
Extrait: Plus bleu que le bleu de tes yeux - Ch. Aznavour
Photo: Trichomania