tendresses
Couleur menthe à l'eau
Elle était maquillée
Comme une star de ciné
Accoudée au juke-box
Elle rêvait qu´elle posait
Juste pour un bout d´essai
A la Century Fox
Elle semblait bien dans sa peau
Ses yeux couleur menthe à l´eau
Cherchaient du regard un spot
Le dieu projecteur
Et moi, je n´en pouvais plus
Bien sûr, elle ne m´a pas vu
Perdue dans sa mégalo
Moi, j´étais de trop
Elle marchait comme un chat
Qui méprise sa proie
En frôlant le flipper
La chanson qui couvrait
Tous les mots qu´elle mimait
Semblait briser son cœur
Elle en faisait un peu trop
La fille aux yeux menthe à l´eau
Hollywood est dans sa tête
Toute seule elle répète
Son entrée dans un studio
Décor couleur menthe à l´eau
Perdue dans sa mégalo
Moi, je suis de trop
Mais un type est entré
Et le charme est tombé
Arrêtant le flipper
Ses yeux noirs ont lancé
De l´agressivité
Sur le pauvre juke-box
La fille aux yeux couleur menthe à l´eau
A rangé sa mégalo
Et s´est soumise aux yeux noirs
Couleur de trottoir
Et moi, je n´en pouvais plus
Elle n´en n´a jamais rien su
Ma plus jolie des mythos
Couleur menthe à l´eau
Photo: Emircan Soksan
Désormais
Désormais
On ne nous verra plus ensemble
Désormais
Mon cœur vivra sous les décombres
De ce monde qui nous ressemble
Et que le temps a dévasté
Désormais
Ma voix ne dira plus je t´aime
Désormais
Moi qui voulais être ton ombre
Je serai l´ombre de moi-même
Ma main de ta main séparée
Jamais plus
Nous ne mordrons au même fruit
Ne dormirons au même lit
Ne referons les mêmes gestes
Jamais plus
Ne connaîtrons la même peur
De voir s´enfuir notre bonheur
Et du reste désormais
Désormais
Les gens nous verrons l´un sans l´autre
Désormais
Nous changerons nos habitudes
Et ces mots que je croyais nôtres
Tu les diras dans d´autres bras
Désormais
Je garderai ma porte close
Désormais
Enfermé dans ma solitude
Je traînerai parmi les choses
Qui parleront toujours de toi
Jamais plus
Nous ne mordrons au même fruit
Ne dormirons au même lit
Ne referons les mêmes gestes
Jamais plus
Ne connaîtrons la même peur
De voir s´enfuir notre bonheur
Et du reste désormais
Texte: Ch. Aznavour
Photo: Taxi Magazine
Saint Petersbourg
Ce soir à la Strelka il y a un concert. Les mélomanes sont là, en bas, sur les chaises devant la scène. Elle les observe. Enfin on le croit, mais son regard est perdu dans le vide. Elle songe, ni triste ni ravie à ce qu'elle est à cet instant précis... Jeune, elle est née sur les cendres de l'Union Soviétique et de ce bouleversement mondial elle n'a pas de souvenirs. Elle s'habille de façon moderne, comme le font toutes les jeunes femmes de son âge à travers le monde. Ce soir elle écoute Schubert, mais elle aime aussi le rock et la pop anglaise et tout cela semble naturel. L'instant d'avant elle a rejeté avec sa main, ses cheveux en arrière. Puis sa main est restée sur sa nuque, empoignant ses cheveux, comme pour juger qu'ils étaient trop longs. Elle se dit qu'elle aimerait bien les faire couper comme cette actrice qu'elle a vu dans un magazine... Elle se dit que c'est tout naturel de penser à cela, de penser comme cela. Elle n'est pas responsable des erreurs du passé, ce n'est pas sa faute si ses parents vivaient dans un monde tellement différent, tellement sombre, tellement effrayant... Ce soir à St Petersbourg c'est comme à Berlin, à Paris ou à Montréal, une soirée d'été, à savourer...
Bord de mer
Quand je suis au bord de la mer
Afin de rester toujours jeune
Comme Aphrodite je déjeune
De soleil et de lune dîne
je me sens devenir ondine
Qui joyeuse où l'onde est amère
Ne souhaite pour son sommeil
Pas d'autre oreiller que les vagues
Si sur le sable le soleil
Luit, comme perdue une barque
Plus n'ai besoin de vos attraits
Votre éponge ni votre craie,
Vénus, pour dormir éveillée
Aux âmes de larmes mouillées
Modèle: Caitlin Lomax
Texte: Quand je suis au bord de la mer - R. Radiguet
Seraphîta
C'est un délicieux frisson, celui qui nous parcourt à l'instant où l'on s'interroge sur le genre de cette silhouette. On la voit de dos, les épaules frêles mais carrées, le corps mince, les hanches droites...
Le cou est lisse et le maxilaire imberbe. La nuque taillée comme le serait celle d'un garçon, les oreilles bien dégagées par la coupe. Dans le profil qui s'offre les indices ne sont pas plus déterminants, le sourcil épais, la machoire carrée, le nez droit...
Ces lèvres un peu rouge peut être ? Ces cils un peu longs, peut être?
Enfin l'endroit se dévoile et on devine un sein, à peine. Et ce sourire, et ce cou...
Elle aime son ambiguité, elle en joue à merveille, séduit Minna tout autant que Wilfrid. Elle est l'être total de Balzac. Un vêtement délicat en fait une princesse qui transforme autour d'elle les masures en palais. Un jean et une casquette sur l'oeil nous l'emporte sur les quais d'Oakland, guettant un embarquement sur le Snark...
A quoi donc cela servirait-il de lui donner un genre?
Modèle: Corinna Ingenleuf
Quelque chose de Stevenson
Il y a chez cette fille un peu de Jim Hawkins. On pourrait presque lui prêter le même âge d'ailleurs. Mais ce n'est qu'une illusion car Jo est une femme. Une femme d'aventure. Un coeur bouillonnant qui s'ennuit sur les bancs de la fac et qui prend la route vers l'inconnu. Et parce qu'elle est plutôt du genre efficace et que c'est une femme aux cheveux courts, dans l'âme, elle sera bien sûr une militaire aux cheveux courts. Très courts même, tout comme ses camarades hommes et ça lui plait bien. Oui parce que Jo c'est aussi un petit tomboy.
L'école des Sous Off', le stage commando, puis le régiment, la rude vie de soldat...
Mais l'envie de mer et de bateau taquine l'intrépide. Qu'à cela ne tienne, direction la Bretagne et son Tonnerre de Brest. Le bleu adoucit le regard mais pas question pour autant de renoncer aux cheveux courts même si les marins sont moins friands.
Peu importe, l'aventure continue. Après la rade de Brest celle de Toulon. La vie tourne, des hauts, des bas...
Et un jour Jo met le sac à terre. Elle pense reprendre des études, apprend à naviguer pour la pêche, envisage toujours l'aventure.
Jo c'est comme ça qu'on l'appelle. Bien sûr ce n'est pas son vrai prénom, mais elle préfère Jo. Son genre elle s'en fout, elle veut bien faire une mi-temps dans chaque camp, un coup fille un coup garçon. Pour ses anciens compagnons elle reste un "pote" de régiment. Pour toujours. Et pour les filles , la meilleure de toutes.
Au bout du compte il reste une réflexion:
“Je pense que la maturité, les épreuves, le cheminement de la vie apportent la confiance en soit. Je pense qu’on ne peut plaire à l’autre que lorsque l’on est sûr de soit, que l’on se sent beau et bien dans sa peau. Je pense que se plier aux exigences des autres, c’est se mentir à soi-même. C’est impossible sur le long terme! Je pourrai tout faire pour la personne que j’aime, mais me dénaturer, j’en suis incapable. Et paradoxalement, je vois ça comme une preuve d’amour: ne rien cacher, ne pas mentir, me dévoiler comme je suis.... et attendre son verdict.”
L'étrangère
Un bas quartier de bohémiens
Dont la belle jeunesse s´use
A démêler le tien du mien
En bande on s´y rend en voiture,
Ordinairement au mois d´août,
Ils disent la bonne aventure
Pour des piments et du vin doux
On passe la nuit claire à boire
On danse en frappant dans ses mains,
On n´a pas le temps de le croire
Il fait grand jour et c´est demain.
On revient d´une seule traite
Gais, sans un sou, vaguement gris,
Avec des fleurs plein les charrettes
Son destin dans la paume écrit.
J´ai pris la main d´une éphémère
Qui m´a suivi dans ma maison
Elle avait des yeux d´outre-mer
Elle en montrait la déraison.
Elle avait la marche légère
Et de longues jambes de faon,
J´aimais déjà les étrangères
Quand j´étais un petit enfant!
Celle-ci par là vite vite
De l´odeur des magnolias,
Sa robe tomba tout de suite
Quand ma hâte la délia.
En ce temps-là, j´étais crédule
Un mot m´était promis si on,
Et je prenais les campanules
Pour des fleurs de la passion
A chaque fois tout recommence
Toute musique me saisit,
Et la plus banale romance
M´est l´éternelle poésie
Nous avions joué de notre âme
Un long jour, une courte nuit,
Puis au matin : "Bonsoir madame"
L´amour s´achève avec la pluie.
Ces mots là
Il y avait c'est deux mots qui revenaient sans cesse. D'abord lui, trop souvent, comme s'il avait besoin de se rassurer. Parfois à la façon dont il posait la question elle sentait qu'il ne s'adressait finalement qu'à lui même et n'attendait pas d'autre réponse que l'affirmative qui signifierait simplement qu'il n'avait rien fait qui puisse lui être désagréable... Et elle répondait avec tendresse et indulgence à cet égoïsme tout masculin.
"Ça va?" Elle aussi l'interrogeait et sans doute que pour lui ces deux mots avaient le même sens lorsque c'était elle qui les prononçait. Pourtant non...
La question lui venait spontanément lorsqu'elle était bien et qu'elle cherchait à savoir si ce bien-être était partagé ou bien lorsqu'elle le sentait désemparé... Sans doute un effet secondaire d'une sorte d'instinct.
Et il y avait comme ça entre eux mille façons de prononcer ces mots et aucune d'elles n'avait le ton d'une banale et quotidienne routine. Il arrivait même que cela ne soit pas une question, juste l'expression d'un état que l'on voulait partager. Et puis à force, sans rien dire ils parvenaient à s'interroger, juste en se plongeant dans leur regard l'un l'autre et en devinant le sourire des yeux, l'inquiétude, la fatigue, l'envie... Et finalement c'était rassurant.
Photo: Daniela Vladimirova
Juste une illusion
A deux tables de là, sous la tonnelle, elles étaient plusieurs, joyeuses, sans doute en vacances, à discuter entre elles. Elle était la seule avec les cheveux courts, un chapeau de paille crânement posé en arrière. Le bronzage était accentué par le contraste avec son débardeur blanc, qui, sans complexe, moulait une poitrine à peine perceptible. Si bien que lorsqu''elle détournait la tête l'illusion pouvait être parfaite, comme ces petites cartes de plastic montrant deux images différentes selon l'angle avec lequel on les regarde. Et ce corps d'éphèbe soudain lui paraissait délicieux. Il devinait le "garçon manqué" qu'elle devait être en voyant les écorchures sur ses mains et la façon qu'elle avait de tirer sur sa cigarette, comme un mauvais garçon... Et puis l'autre facette reparaissait, avec son visage d'ange, ses grands yeux clairs, ses lèvres gourmandes et cette mèche sur le front qui remontait vers le rebord du chapeau... Pile et face.
Il fallait garder cette illusion, ne pas rompre le charme.
Photo: Guilia Muriaglia
La tentation de l'androgyne
Depuis longtemps Camilla a choisi d'être elle même, ni fille ni garçon, être androgyne, brouillant les pistes, créant le doute pour empêcher un choix trop facile. Cette liberté fascine, fait naître des envies et des désirs.
Elle sait bien être fille, même dans ses vêtements d'adolescent. Si elle veut, en laissant un peu pousser ses cheveux elle parvient à estomper l'incertitude et sa blondeur pourrait lui donner des airs girlie. Et puis soudain, avec la complicité d'Alex, elle brouille de nouveau les cartes et sa nuque tondue lui donne l'apparence d'un collégien, que de dos, on imagine beau comme un dieu. La peau rasée y apparait pâle, là où les cheveux la préservait du soleil et le mélange de cette pâleur au teint plus mat et au velours du cheveux tondu élance le cou, comme une colonne de chair à la fois robuste et terriblement fragile.
Ainsi le jeune dieu fascine son monde, bousculant les schémas, il aime les filles, trouble les garçons et goûte à son gré aux lèvres des unes et des uns...
Ou calme et solitaire sur son Parnasse il caresse de ses doigts fins sa nuque fraîche et frissonne à cette nouvelle sensation...
Photo: Testolina