Ad patres - Moïra
60 jours. Deux mois que ce portrait me hantait. La fiche était parvenue via Tel Aviv et un contact au BND à Berlin m'avait "glissé" l'info. Evidemment "la Boîte" était au courant mais tout le monde se gardait d'évoquer le sujet. Officiellement elle était photographe luxembourgeoise et personne à Paris ne voyait en quoi son destin pouvait l'intéresser. Je suppose qu'il en aurait été de même pour moi à présent...
Matricule BV 459, les yeux cernés, le corps amaigri dans ce pyjama de coton qui avait du être orange, la tête rasée, Moïra avait le regard fixe et sans émotion. Le doute et la culpabilité parasitaient mon esprit... Pourtant j'avais besoin de tous mes neurones pour tenter d'inventer une solution. Tout oser plutôt que d'attendre une issue forcément fatale...
Les israéliens suivaient les événements et je savais qu'une opération était possible. Des informations recoupées laissaient entendre qu'un transfert était envisagé vers la Syrie. Sans doute la seule occasion de pouvoir sortir Moïra de son enfer...
Un de ses ami israélien qui servait au sein du Shayetet 13 me révéla qu'un plan existait. Ne restait plus qu'à attendre le moment opportun...
Un sourire un peu triste me vint aux lèvres en imaginant qu'elle avait du s'éclater quand le sbire de la prison d'Evin s'était pointé avec sa tondeuse à la main...
Bon Dieu mais C'est Bien Sûr!
Oui je sais, ça me l'a fait aussi. Vous voyez cette photo, fixez ce visage en vous disant :"Mince, cette femme est sacrément belle..." et puis tout de suite après vient cette autre proposition :" Mais où est ce que j'ai bien pu la voir, il me semble la connaître..."
Et là, vous avez beau chercher, vous creuser les méninges... Rien. Alors peut être dépité ou résigné, vous la placez dans la catégorie mannequin, on en voit tant, et puis on ne sait même pas leur nom alors...
Eh bien non Sonita Henry n'est pas model, elle est actrice et si vous l'avez vu c'est que vous êtes un grand fan de séries américaines, genre Cold Case ou NCIS et si ce n'est pas le cas c'est que vous aimez les films de Science Fiction au cinéma. Aller, un petit effort... Dans Le 5eme élément... Mais si... Une conseillère du président ou encore Star Trek ( le dernier en date, de J.J Abrams en 2009). Bon ça y est, vous y êtes?
Bref! Comme je suis un garçon charitable et que ça m'arrive souvent de voir dans un film un personnage secondaire qui me plait physiquement et que chaque fois après j'oublie de chercher à savoir qui elle est, pour une fois, je partage ...
Photo: Dana Patrick
Le collier de perles
Elle n'avait gardé que les perles, qu'elle imaginait indispensables à sa beauté. Cependant la nacre, même sous l'éclat de lumière, n'attirait pas le regard. Tout juste soulignait-elle la nudité de sa peau de satin. Et de ce corps souple et harmonieux rien n'était celé. Pourtant sa pudeur aurait voulu préserver non pas son sein ni son intimité, mais cette nuque qu'elle sentait nue et vulnérable. Timidement ses doigts montaient vers les cheveux ras, caressaient l'implantation qui dessinait avec talent une accolade soyeuse. Elle savait sa nuque tondue plus désirable encore et tremblait déjà d'y sentir le souffle et les baisers de son amant. Et puis, voluptueusement, presque en rougissant, elle a laissé la pulpe de ses doigts s'exciter sur les quelques millimètres de sa chevelure, faisant s'évanouir naturellement la peur de les avoir coupé trop courts. Elle tira doucement le collier et les perles remontèrent jusqu'au bord de la nuque, illuminant le joyaux qui soudain n'était pas le bijou...
Photo: Kelly Kardos
Ô mio bambino caro
On pourrait les dire frère et soeur. Question de complicité et puis parce qu'ils ont atteint cette période où lui devient un homme alors qu'elle garde son allure de jeune fille. Il n'y a pourtant pas si longtemps qu'elle le portait encore dans ses bras et que le bambin fourrageait de ses doigts encore potelés à travers les mèches courtes de sa nuque...
Il en garde le souvenir, la douceur, le parfum. Il l'a toujours connue ainsi et n'imagine pas qu'elle puisse être différente.
Pourtant le jour va venir. Il sera plein d'espoir et d'enthousiasme. L'instinct le poussera, toujours plus fort, à aller découvrir le monde, se battre, aimer, travailler, voyager. Elle sera toujours dans son coeur, comme ce matin là, la tête posée sur son épaule de jeune homme conquérant.
Pourtant ce jour va venir. Elle sera à la fois fière et désespérée. Elle le verra partir, s'éloigner de son sein et elle ne fera que compter les jours, les heures les minutes même qui les séparent. Et cette absence creusera ses rides...
A chaque retour il sera plus beau encore et la trouvera toujours aussi belle, même si le temps, les tourments et l'inquiétude parviennent à effacer son allure de jeune fille. Elle se délectera, quand il l'embrassera, de sentir ses doigts fourrager dans les cheveux courts de sa nuque, comme il l'a toujours fait et elle retrouvera enfin son enfant...
Photo: Kelly Kardos
Frida en remet une couche
C'était les jours heureux! Notre trio était un joyeux Barnum en représentation perpétuelle, chacun passant allègrement de la couche de l'une à celle de l'autre et je me sentais parfaitement satisfait, même si j'étais le seul élément de la molécule à n'évoluer que sur le registre "hétéro exclusif". Laora avait retrouvé toute son assurance et ses cheveux repoussaient de la plus belle manière qui soit, prenant soin de les tailler régulièrement.
Au milieu des mes deux androgynes j'en aurai presque oublié mes problèmes existentiels si Frida de temps en temps ne me poussait dans des réflexions qui m'obligeaient à explorer les arcanes de ma libido.
Un jour j'émis l'hypothèse que le fait d'avoir été confronté, enfant, à une coupe de cheveux vécue comme une punition, pouvait être à l'origine d'une déviance d'ordre fétichiste
Ma Psy " - Ach! Mais ou ezke du fa jerger dout za?
Moi - Ben dans ma tête, où veux tu? Tu comprends, si j'y réfléchi un peu je me dis que dans mon cas ou dans celui de Laora, à chaque fois il y a à la clé un sentiment d'humiliation et que c'est ce sentiment là qui provoque le trauma, pas le fait de "subir" une coupe de cheveux... Tu vois ce que je veux dire?
Ma Psy - Ya naturlich che fois, mais zi on zuit don raizonnement dous les kosses ki ont rezus ein vezée kant ils édaient bedits zont tes atebdes tu zado mazogisme.
Moi - Ah ben oui, vu comme ça....
Photo: Aaron Pinkston
De l'air, de l'air!
Le vent tourne - Moïra
Les nouvelles n'étaient pas bonnes...
Moïra avait été arrêtée à Suvarnabhumi airport. Le mannequin qui l'accompagnait, encore effondrée, m'avait raconté la scène. Deux hommes en civil, sans doute des policiers du DSI, l'avait interpelée à l'embarquement. Peu de chance que cela soit directement lié au contrat qui l'avait amenée à Bangkok. Moïra, Dorothée pour elle, était restée très calme, l'avait même rassurée, expliquant que c'était sûrement une erreur et lui donnant mon numéro de téléphone à Paris . Elle avait averti le consulat et la mort dans l'âme elle avait quitté le pays laissant la photographe derrière elle.
Mais je savais bien, moi, que dans notre métier les erreurs ne sont jamais sans conséquences, et les retours que j'avais de mes différents contacts contribuaient à noircir le tableau d'heure en heure. Dans notre univers trouble, Moïra était à la fois une pièce de choix et un simple pion. Elle n'avait fait que transiter au siège de la NIA avant d'être embarquée dans un vol spécial pour... Téhéran. Sans doute se trouvait-elle à cette heure dans une cellule de la prison d'Evin, avec une vue imprenable sur la cour et ces potences.
Je n'arrivais pas à rester lucide. La rage plus que le chagrin ou le dépit m'étreignait. En fin de journée le coup de grâce. Moïra avait été vendue par les britanniques. En échange de je ne sais quelle information ils avaient livré celle qui depuis des années les avait reniés... Le vent tournait. Beaucoup parmi les amis des iraniens auraient des raisons de réclamer sa tête... Et les jours s'annonçaient douloureusement sombres. Pas question pour elle d'avoir la chance de passer pour une étudiante arrêtée par erreur et détenue abusivement. Le monde ne saurait rien de la vie de Moïra et moi seul pouvait encore tenter quelque chose pour la sauver. S'il y avait quelque chose à tenter?
Photo: Sybil Rondeau par Pascal Renoux
Rendez vous
Elle le sait bien, que je penserai à elle demain à l'heure où elle poussera la porte de ce salon de coiffure. Pense-t-elle que mon esprit tout entier sera concentré sur ce moment particulier? Que je serai là, attentif, ne manquant rien de toutes les sensations qu'elle va traverser, de la crainte, du trac qu'elle va avoir en entrant, la peur de ne pas vraiment obtenir ce qu'elle veut plutôt que celle de ne plus être aussi jolie qu'avant. Et puis la douceur et le bien être de cette relaxation, la tête en arrière lorsque l'eau juste tiède coule sur le cuir chevelu que les doigts massent délicatement. Puis à nouveau le trac, mais celui là mêlé d'excitation, au moment où les premiers coups de ciseaux vont claquer, derrière ses oreilles... Elle a tellement rêver de sentir les cheveux ras sur sa nuque sans jamais oser aller au delà d'une coupe au carré bien sage et sans excentricité. Elle a toujours composé une image bon chic bon genre alors qu'à l'intérieur c'est le feu et la folie. Comme pour camoufler ses fantasmes elle paraît lisse et sans ombres, mais sa libido est pleine de souvenirs d'enfance, de ce coiffeur libanais qui taille ses cheveux blonds de petite fille dans ce salon pour homme... La coiffeuse glisse son peigne sur lequel les larges lames de ses ciseaux claquent régulièrement, encore et encore... Osera-t-elle la tondeuse? Cette nuque enfin nue elle la sent à présent et imagine déjà les doigts et les baisers de son homme la parcourant et la puissance décuplée de son plaisir, juste " à cause" de ça... Imagine-t-elle à quel point je serai impatient de la "voir" revenir?
Photo: DN
La tzigane
La Tzigane savait d'avance
Nos deux vies barrées par les nuits
Nous lui dîmes adieu et puis
De ce puits sortit l'Esperance
L'amour lourd comme un ours privé
Dansa debout quand nous voulûmes
Et l'oiseau bleu perdit ses plumes
Et les mendiants leurs Avé
On sait très bien que l'on se damne
Mais l'espoir d'aimer en chemin
Nous fait penser main dans la main
À ce qu'a prédit la tzigane
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
Photo: Yagmur Kizilok