Bonne pioche
Dans la famille " Queer models " il y a Erika, Elliott, Casey... et peut être quelques autres. Moi je voudrais Agata. Oui comme ça, sans h. C'est franco-italo-espagnol.
Agata Descroix est devenue mannequin à 28 ans quand toutes ses consoeurs en ont 17 ou 20. Mais avec du tempérament et une maturité affirmée, il a suffit d'une coupe de cheveux pour révéler sa vraie nature. Pour Les Femmes Aux Cheveux Courts, elle a gentiment accepté de répondre à quelques questions...
« Agata, tu es connue aujourd’hui pour être dans cette tendance des mannequins androgynes. Un style naturel que tu as accentué définitivement en adoptant les cheveux courts.
Est ce que c’est une envie qui remonte à loin ou un choix professionnel?
"L'envie remonte à très loin et c'est elle qui a influencé le choix professionnel. A mes 14 ans, je m'habillais de façon très androgyne, avec des vêtements de skater et un look sportif. C'était le début. J'ai toujours eu beaucoup de mal à me sentir d'un seul côté, ou masculin ou féminin. J'étais plus grande, plus musclée et plus maladroite que mes camarades de classe. J'étais peu aimée à l'école et j'avais tout un monde intérieur et une imagination très fertile. Régulièrement, je m'imaginais plus tard dans la vie; je me rêvais grande, mince et musclée, traversant en rollers de grandes avenues à une vitesse vertigineuse, les cheveux très courts en mohican et décolorés en blond (l'idée du blond m'est passée très vite car j'aime beaucoup ma couleur naturelle).
C'est au Chili que l'envie est devenue insupportable. Lors d'un shooting, le photographe est venu avec une fausse frange. J'ai mis la frange sur ma tête, comme si c'était une crête de punk, et je me suis vue pour la première fois comme je voulais être. C'est à ce moment que j'ai commencé à considérer l'idée sérieusement.
La toute première fois qu’on t’a coupé les cheveux, c’était quand?
Je me rappelle très bien d'une coupe de cheveux que j'ai eu à mes 11 ans. C'était la première fois que j'allais chez le coiffeur, ma première vraie coupe de cheveux! Je n'avais pas trop apprécié l'expérience mais le résultat était incroyable. Je voulais me sentir plus féminine, plus parfaite, plus à l'image que voulaient de moi mes parents et mes grands-parents. J'ai opté pour un carré court super féminin et la coiffeuse m'a fait un brushing. J'étais en extase. Mes cheveux étaient lisses alors qu'ils avaient toujours été très crépus et électriques. Je jouais à la petite dame, et je passais le peigne des milliers de fois dans mes cheveux parfaits... Je n'avais pas un seul soupçon que ma crinière indomptable, de nature frisée, allait revenir au naturel. Trois jours plus tard, j'étais en pleurs.
Ma vraie première coupe très courte a été un échec cuisant aussi. En 2013, je suis allée chez un coiffeur Japonais très très connu dans le monde de la mode. Mon agence de mannequin me permettait d'avoir des coupes de cheveux gratuites avec lui si je laissais simplement un pourboire. Ce charmant coiffeur n'a rien compris à mes désirs et m'a fait une coupe et un brushing qui me donnaient l'impression d'avoir 10 ans de plus que mon âge. Les suivantes (faites par un autre coiffeur) ont heureusement récupéré les dégâts.
Quelles ont été les réactions autour de toi et dans le milieu professionnel?
C'est étrange comment les gens peuvent être contradictoires parfois! Tout le monde me dissuadaient de me couper les cheveux courts. Mes copines mannequins me criaient presque dessus en me disant que j'allais être horrible et que j'allais ressembler à un garçon. C'est toujours très délicat de parler d'une idée à quelqu'un. En disant que je voulais couper mes cheveux courts, les gens réagissaient violemment, comme si je leur demandais de couper leurs propres cheveux!
Seuls les coiffeurs professionnels approuvaient l'idée. Ils me disaient tous qu'un pixie m'irait très bien.
Et puis, j'ai franchi le pas et j'en ai profité pour complètement changer de style vestimentaire, pour m'habiller comme j'avais réellement envie, sans me préoccuper de ce que penseraient les clients. J'avais l'impression d'avoir "joué à la fille très féminine" depuis trop longtemps. Je sentais vraiment que je jouais un rôle.
Du coup, sûrement pour la confiance que j'ai récupérée par ce biais, la réaction des gens a été très positive. Tous les gens autour de moi ont été incroyablement surpris et unanimes. "C'est vraiment toi!" j'entendais constamment. Je ne sais pas si tous les commentaires ont été sincères, mais je me suis dit que j'avais au moins l'avantage de me plaire à moi-même.
Depuis, est ce que tu as été sollicitée pour laisser repousser tes cheveux?
Une seule fois on m'a demandé d'avoir les cheveux plus longs. J'ai mis fin à ma carrière, cette année, après avoir travaillé à Milan. J'étais avec une super agence, les gens qui travaillaient avec moi m'appréciaient beaucoup et j'ai terminé la saison de façon décente! Mon booker m'a prise à part dans la salle de réunion de l'agence et m'a dit:
"Agata, tu as un style très androgyne, mais tu plais à Milan. Tu pourrais beaucoup plus travailler. J'ai vraiment envie que tu reviennes et que tu te laisses pousser les cheveux au carré. Comme ça, tu pourrais bien bosser dans des rôles de mamans."
J'ai rarement pris un aussi gros coup de poing émotionnel dans la figure. J'étais venue à Milan pour poser et défiler comme femme et homme, mais on voulait me remettre dans les rails d'une personnalité beaucoup plus féminine (dans laquelle je ne me suis jamais sentie bien), pour me donner un rôle de maman!?
C'est ce commentaire qui m'a poussée à finalement prendre la décision d'arrêter le mannequinat. Il fallait bien, à un moment, laisser tomber tout ça et je crois que ça a été un bon moment.
Qui est ce qui te coupe les cheveux actuellement? Tous les combien?
Le seul coiffeur qui touche mes cheveux s'appelle Abraham (et oui, il était destiné à une renommée biblique!!). Il a un look d'enfer, avec une crête de punk qu'il change souvent de couleur et des tatouages partout.
Il travaille dans une chaine de salons qui s'appelle Estilismo, au Mexique. C'est la seule personne qui a su m'écouter, regarder mes références, comprendre mes cheveux et me faire exactement ce que je voulais. Je vais avec lui lorsque j'ai besoin d'une coupe complète, c'est-à-dire, tous les trois ou quatre mois (mes cheveux poussent très lentement). Pour les retouches, je fais ça à la maison avec une tondeuse.
Est ce que c’est quelque chose dont tu ne pourrais pas de passer aujourd’hui, le fait d’avoir les cheveux courts, la nuque tondue, cette liberté?
Je ne m'imagine absolument pas avoir les cheveux longs une fois de plus dans ma vie. J'ai passé tellement de backstages à pleurer en silence de la douleur des cheveux qu'on tiraille, chauffe, tord, attache, que je ne pourrais plus jamais revenir au passé je crois. J'ai détesté mes cheveux une bonne partie de ma vie. Trop fins, trop mous, trop fragiles, trop légers, trop électriques, ils poussaient très lentement et chaque fois qu'on me faisait une couleur, ils étaient encore plus secs et sans forme qu'avant. Ils ont aussi perdu beaucoup de force avec le temps. La coupe courte est quelque-chose d'addictif. Je ne pourrais plus me passer de pouvoir me faire un shampoing en 23 secondes dans le lavabo, au lieu de passer une demie heure à démêler mes cheveux au peigne dans la douche, avec la moitié de la bouteille d'après-shampoing sur la tête. Me coiffer en quelques instants le matin est quelque-chose qui me donne le sourire rien que de l'écrire... Je ne pourrais plus me passer de m'allonger quelque-part sans me coincer les cheveux de partout, passer ma main sur ma nuque sans me faire des rastas et surtout, surtout... Ça ne vole plus dans tous les sens. Je vois clair et lorsque je fais du sport, je ne suis plus préoccupée de ressembler à une barbapapa après avoir transpiré.
Je ne peux pas vraiment décrire l'impact que ça a eu dans ma vie, car personne ne me croirait... C'est comme si on m'avait ôté un fardeau de 20 kilos des épaules.
Est ce qu’il t’es arrivé de les couper toi même?
Ouiiiii! Et ça n'a pas toujours été un grand succès, mais c'est assez divertissant. Ado, j'ai voulu couper ma frange une fois, et j'ai oublié que les cheveux se rétractent lorsqu'ils sèchent. J'ai donc terminé comme Jeanne D'Arc....
Il y a juste un mois, je me suis un peu confondue dans les sabots, et je me suis trompée de numéro. J'ai terminé complètement tondue sur les côtés et ça m'a fait un coup au coeur. J'étais un mélange entre un moine Bouddhiste et un punk. Héhéhéhé! Mais je relativise toujours depuis que j'ai les cheveux courts. Les cheveux, ça pousse, même s'il leur faut plusieurs mois, et lorsqu'on les a courts, on peut facilement réparer les dégâts!
Est ce que tu as conscience d’être un exemple, un modèle pour beaucoup de femmes qui souvent n’osent pas couper leur cheveux?
En général, je n'aime pas me considérer ou me penser comme un modèle, mais plutôt comme une motivation ou une inspiration pour que les femmes se libèrent et finissent par se voir comme elles ont réellement envie de se voir dans un miroir et dans leur vie. Je pense que suivre un modèle est un peu comme essayer de copier quelqu'un ou quelque-chose sans prendre en compte notre côté unique. Suivre une inspiration ou se motiver pour quelque-chose ou quelqu'un est un système qui permet de réaliser nos propres objectifs, à notre façon.
Deux femmes avec une même coupe de cheveux s'apprécieront différemment, en prenant en considération leurs traits, mais aussi leur personnalité et leur aura.
Comme j'ai supporté durant des années de ressembler à ce que les gens voulaient de moi, je suis très sensible au fait d'avoir la liberté de se ressembler à soi-même. C'est quelque-chose que je souhaite pour tout le monde. Souvent, les autres ne nous aiment pas plus ou pas moins si nous nous coupons les cheveux courts, mais l'amour que nous avons pour nous-même peut changer d'une façon radicale.
Qu’est ce que tu aimerais dire à ces femmes qui t’admirent mais n’osent pas ou ont peur de se couper les cheveux?
Pendant des années et des années, je me suis regardée dans la glace en pensant que ce n'était pas moi.
C'est quelque-chose que je ne souhaite à personne.
J'aimerais dire à toutes les femmes qui n'osent pas se couper les cheveux courts:
"Est-ce que, dans 10, 20 ou 30 ans, tu regretteras de ne pas t'être lancée? Si oui, alors, fais-le maintenant. Si tu n'aimes pas, dans 10 ans, tes cheveux auront repoussé, si tu aimes, dans 10 ans, tu seras heureuse d'avoir pris la décision de le faire."
C'est généralement ce qui motive toutes mes actions. Je me pose les questions suivantes:
"Est-ce que j'en ai vraiment envie?"
Si je réponds oui, alors je me pose la suivante:
"Est-ce que je regretterai si je ne le fais pas maintenant?"
Si je réponds encore oui, alors, je passe à l'action.
Ne pensez pas aux limites. Pensez seulement que l'une des plus belles choses dans la vie, c'est de se réveiller un jour à 70 ans, regarder sa vie, et voir que nous sommes devenues la personne que nous rêvions d'être lorsque nous en avions 16.
Quel est ton sentiment sur l’androgynie?
J'ai toujours eu beaucoup de mal à me sentir complètement masculine ou complètement féminine et l'androgynie définie très bien où je me trouve: un mélange entre ces deux caractéristiques.
Parfois, les gens autour de moi ne comprennent pas bien cette volonté. Ils veulent me mettre dans une case ou une autre. Ça ne me dérange pas trop, pourvu que j'en change constamment. Je ne m'offusque jamais lorsqu'on me prend pour un garçon. Ça me fait rire et parfois me met dans des situations cocasses. C'est quelque-chose que j'ai très fort en moi.
Je suis une vraie spartiate lorsque je fais du crossfit, du kickboxing ou lorsque je décide de prendre quelque-chose en main, mais j'aime aussi me faire la manucure, avoir une peluche sur mon lit et je suis passionnée de cosmétologie. Ma personnalité englobe deux pôles opposés et c'est parfois dur à vivre car beaucoup de gens autour de moi provoquent des barrières à cette fluidité, par des commentaires, des moqueries, ou simplement une volonté de me ranger définitivement dans un tiroir ou un autre.
L'androgynie, c'est la fluidité dans les genres. Un de mes animaux totem est le serpent. Je pense qu'il représente la fluidité et aussi l'absence de sexe défini. J'aime beaucoup ce symbole et j'ai toujours été fascinée par la confusion des genres. Parfois, lorsque je n'arrive pas à identifier le genre d'une personne, sur une photo par exemple, je transforme les adjectifs espagnols qui se terminent par "a" (féminin) et par "o" (masculin) en "é". Je sais que ce n'est pas correct mais c'est ma façon d'en apprécier pleinement la beauté; en y faisant entrer le masculin et le féminin en même temps.
Est ce que tu revendiques cette image de femme androgyne?
Je revendique beaucoup plus la liberté d'avoir une apparence qu'on aime et avec laquelle on s'identifie, que l'androgynie en soi. L'androgynie est quelque-chose que je n'ai pas vraiment choisi. C'est quelque-chose qui s'est imposé à moi. De la même manière que les croyances, le désir de maternité ou l'orientation sexuelle, c'est un paramètre qui fait partie de nous qu'on le veuille ou non. On peut essayer de le combattre, mais on revient toujours au point de départ.
En réalité, je dois avouer que je revendique tout dans la vie, pourvu que chaque personne soit heureuse avec ce qu'elle est et que cette personne n'empiète pas sur la liberté et la sécurité d'autrui.
Si quelqu'un décide de se tatouer complètement des pieds à la tête, ou si une femme porte les cheveux très longs, ou très courts, peu importe la forme, pourvu que cette personne finisse par trouver ce que nous cherchons tous:
Faire la paix avec nous-même."
Un discours plein d'humour et de sensibilité, idéalement dans l'esprit de ces Femmes aux cheveux courts qui font ce blog. Merci beaucoup, grazzie mille, muchas gracias Agata.
Agata Descroix sur Instagram
https://instagram.com/agatacruz/
Photo de couverture: Tzu Reyes Photography