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Les Affranchies

Confession, ou l'histoire d'Ophélie

28 Décembre 2014 , Rédigé par jeaneg Publié dans #Divers & variés, #Quartier Libre

Ce n'est pas vraiment un Quartier Libre, c'est plus que ça!

Ophélie m'a livré ce récit hier. C'est à la fois poignant et terrible, amusant et douloureux... émouvant.

J'ai hésité à le mettre en ligne d'un seul bloc et puis je me suis dit que cette histoire méritait bien qu'on se pose 5 minutes, pour lire et réfléchir.

Confession, ou l'histoire d'Ophélie

Il y a des histoires sur le visage de chaque femme. Des mots que l'on peut parfois lire, accrochés aux mèches, qu'elles soient blondes ou brunes, rousses ou grises. La mienne, mon histoire, elle fait aussi directement parti de ces cheveux-catalyseurs. Laissez moi vous raconter, avec mes mots, ce que vous avez sans doute pu, un jour, si vous m'avez croisé, deviner au travers de mes boucles brunes.

Selon ma mère, je me suis toujours coupé les cheveux, petite. La fois la plus marquante fut celle où, âgée de 6 ans, je m'appliquais avec soin, sur le crâne et sur les sourcils, une lotion épilatoire. Durant quelques semaines, raconte maman, j'étais ainsi cette petite fille reconnaissable à la garderie, car j'avais des trous et des touffes éparses sur le crâne. Je ne me souviens pas de cela, pas plus que des commentaires désobligeants qu'à du essuyer ma maman.

Je me souviens en revanche de mon parcours de vie. Pas vraiment sexuée, sans genre jusqu'à très longtemps, j'étais cette enfant qui voulait les rôles masculins, et qui très tôt, avait une conscience nette de la distinction entre le garçon et la fille. D'une éducation très riche et très intelligente, ma mère ne m'a jamais enseigné que le rose était pour les filles et le bleu pour les garçons. Néanmoins, j'ai eu les cheveux longs longtemps, sans pour autant me considérer comme « fille ». J'étais Simba, j'étais Aladin, j'étais Balto. Car j'avais la sensation, enfant, que les filles étaient ces être caricaturées auxquelles je ne ressemblais pas. Avec mes yeux bleus-verts et mes boucles au milieu du dos, on me disait que j'étais jolie. Avec mes pantalons troués et mes chaussures recouvertes de boue, on me disait que j'étais ignoble, et qu'une fille ne devait pas faire cela.

Je me souviens que mon père, alors que j'avais onze ans, m'a regardé dans les yeux, et m'a dit, à l'instar d'une menace soufflée : « A quatorze ans, tu ne grimperas plus aux arbres : tu t'intéresseras aux garçons. »

J'en ai souri.

C'est simplement resté dans un coin de ma tête.

A quatorze ans, sachez-le, j'émerveillais mes petits frères en escaladant les sapins et les bouleaux.

Ma « féminité » a subi son premier coup lorsqu'un jour, après un choc particulier, je me suis coupé au ciseau toute une moitié du crâne. J'allais au collège, en vélo, j'étais en cinquième, et en chemin, j'avouais à ma meilleure amie mon acte, le casque sur ma tête lui cachant le spectacle. Étonnamment, je me souviens, au milieu de la honte de l'appréhension, une espèce de satisfaction à avoir effectué cet acte. Cet « interdit sociétal ». En entrant en classe, je me souviens du silence de stupéfaction de mes camarades. Je me souviens du rire gras de cette fille que je détestais et qui me détestais. Je me souviens de ses moqueries, mais surtout de l'incompréhension des élèves, qui venaient me voir, ou pas, et des questions. J'avais mes cheveux longs d'un côté, et courts de l'autre. Ça jasait dans les cours de récréation. Presque une semaine plus tard, ma mère, ne supportant plus mon esthétique dissymétrique bâclée, a coupé la moitié longue de mes cheveux, pour tenter d'obtenir un résultat égalisé. A cette période, le fait d'avoir les cheveux courts n'était pas plus qu'une simple idée de distinction. Être l'extra-terrestre du collège ne me dérangeait pas, et avoir les cheveux courts était un moyen comme un autre d'affirmer aux autres que j'existais : ce n'était qu'une pierre de plus. Je n'y accordais pas d'attention.

Mes cheveux ont repoussés. Mon corps, mon esprit aussi. La puberté, la fin du collège, les problèmes de vie. Mon envie, parfois, d'être attirante. La compréhension, -le tout début, du moins-, de l'idée d' « être née femme ». Les seins, les règles … les cheveux longs. J'accordais, à ce moment là, de l'importance à ces boucles. Entre temps, j'étais déjà passé par les mèches, les couleurs (au moins 5 durant le collège), les chignons, les tresses et les queues de cheval. Mais, jamais vraiment satisfaite, je me fixais dans le miroir sans me reconnaître. Mon visage n'était pas le mien, et les mèches qui l'encadraient n'étaient jamais là où il le fallait. Je ne correspondais pas à ce que je voulais être. Je n'ai jamais été une de ces filles qui soupirent devant les model photoshopée des magazines. En revanche, combien de fois n'ai-je pas, en silence, admiré mes camarades de classes aux visages et aux coiffures si adaptées à ce qu'elles étaient.

J'ai mis longtemps avant de me trouver.

Suite à une dispute générée par une dite thérapie familiale, je me suis un jour enfermé dans la salle de bain. En m'emparant d'une tondeuse, je me suis fait un undercut. Le résultat était sympa, je m'en rends compte avec le recul. Mais à ce moment là, de voir mes cheveux tondus, malgré tout le reste de la longueur que j'avais encore, j'avais la sensation de m'être défigurée. De m'être cassée. D'avoir touché le fond au niveau de la laideur de mon apparence. Quelques temps après, je me suis coupé le reste des cheveux, en une sorte de bol long et irrégulier, et j'ai teins mes cheveux en noir. Mon humeur était basse.

Et à ce moment là, les gens ont commencés à me faire des remarques surprenantes. « Tu es jolie ! », « Ça te va bien cette coiffure ! », « Mais ça va super bien avec ton visage ! » « Oh, t'étais jolie avant, hein. Mais cette coiffure là te va vraiment bien ! ». Des compliments, spontanés, qui venaient de partout. Même de mon chauffeur de bus, qui, en me voyant rentrer du collège, m'a ainsi salué, en me disant qu'un visagiste n'aurait pu faire mieux.

J'avais seize ans, et j'ai commencé à me trouver jolie.

A dix sept ans, j'entretenais donc cette coupe « courte ».

Et puis, la nuit du 7 au 8 mai 2012, alors que je sortais de mon entraînement de karaté, un homme de 43 ans, en vélo, vers 23h, a trouvé lui aussi que j'étais jolie, et a tenu à me le faire savoir à sa façon.

Je n'ai pas été violée, ce soir là.

Je me suis battue, dans le but de le tuer, et la police est intervenue rapidement. Certains disent que j'ai eu de la chance. Moi, je sais que c'est parce que je voulais vivre. Vivre en tant que personne, avec le regard levé, et non en tant qu'individu, en tant que victime, en tant qu'être détruit.

Mais cette semaine-là, après l'hôpital et le poste de police, a été difficile.

Je me suis coupé les cheveux, encore. Plus courts.

Mais cette fois, c'était par souffrance, par besoin de décharger.

Le résultat était ignoble. J'avais des trous visible au milieu des cheveux, des mèches plus longues que d'autre, et j'entendais les commentaires que les amis de ma mère marmonnaient dans mon dos. Ayant arrêté l'école à ce moment là pour faire le CNED, je n'ai pas subi le regard des adolescents sur moi. Il n'y avait que le mien, le matin, quand je me levais, et que je me regardais dans le miroir. L'idée d'être jolie a disparue. Ne restait que ce constat amer d'avoir un champs de bataille au dessus du front : un champ de bataille sur lequel était établie la difficulté de la vie.

Et puis, petit à petit, ils ont repoussés. Tout allait bien. J'ai eu 18 ans.

Quelques jours après ma majorité, j'ai proposé à une connaissance Internet de venir crécher chez moi. Il n'avait pas très envie de se payer un hôtel, et je lui rendais service de cette manière. Il avait 5 ans de plus que moi, et une maîtrise martiale plus poussée que la mienne. Est-il nécessaire de préciser que, étant un homme dans la force de l'âge, il était impressionnant par son corps ?

J'étais seule à la maison, ma mère n'étant pas au courant que je proposais à un homme adulte de venir dormir chez moi.

Il m'a fait des avances, que, puérilement, j'ai repoussé. Il est allé dans la chambre d'un de mes frères, tandis que je dormais dans le lit maternel. A un moment de la nuit, il a frappé à la porte, et est entré, à demi nu. Je l'ai fixé, je lui ai dit de sortir, et il s'en est allé.

Quelques heures plus tard, je me suis levé sans un bruit, et je suis allé dans la salle de bain.

Quand il s'est réveillé le matin, il s'est figé devant mon crâne à blanc. Je me suis rasée, complètement. La sensation de mes doigts sur ma peau, nue, était aussi terrifiante qu'impressionnante. Je ne savais pas pourquoi j'avais fait ça. Mais je l'avais fait. Je l'assumais.

Quelques jours plus tard, j'annonçais à cet « ami » que je ne voulais plus jamais entendre parler de lui. (Notez, d'ailleurs, que ce matin-là, une de ses réactions face à mon crâne blanc, a été de dire que je lui faisais penser aux nazis, et aux femmes que l'on tondait pour avoir « couché avec le Bosch ».)

Cela a été très dur à encaisser pour ma mère. Elle n'a pas supporté. Elle m'a acheté une perruque, elle m'a forcé à la porter tout le temps, même à la maison. Je suis passé par des périodes de honte, de provocation, de déprime, de remise en question … Ça n'a pas été des plus facile.

Mes cheveux ont repoussés, petit à petit. En septembre, je suis retourné dans un établissement scolaire, pour faire ma Première. La directrice-adjointe de mon établissement m'avait rencontré, et devant elle, j'avais ôté ma perruque. Mes cheveux, à ce moment là, mesuraient 2/3 cm. Elle m'a dit « Assume toi, tu es belle. ». Ces mots m'ont permis d'aller de l'avant : car elle était une femme que je ne connaissais pas, qui ne me connaissait pas, et qui pourtant, m'offrait un jugement valorisant de moi-même.

Je suis entré en Première, avec deux ans de retard sur mes camarades. Sans perruque, mais avec un bonnet pour les intercours. Durant les cours, pendant les deux premières semaines, je suis resté cette fille un peu à part, qui refusait de rejoindre les autres. D'un, parce que je n'aimais pas l'idée de me mêler à des gamines de seize ans alors que j'en avais dix huit, et de deux, parce que j'avais peur, parce qu'avec mes cheveux courts, et mes différences, je ne connaissais pas autre chose que l'isolement. Et pourtant, ces filles de la Première L ont fait des efforts incroyables. Elles sont venues me voir, elles ont osés dépasser mes regards glacés et mes commentaires secs à leurs propos. Elles sont venues, elles m'ont parlés, et elles m'ont intégrés. Et j'ai découvert le fait formidable d'avoir des liens avec mes camarades de classe.

Pourtant, et c'est sans doute normal, j'ai remarqué qu'il y avait cette espèce de rumeur. Un garçon, d'une classe de S, était venu m'avouer, que certaines filles de ma classe pensaient que j'avais eu une expérience de la chimio ; en plus de mes cheveux courts, j'ai une cicatrice d'escarre sur l'arrière de la tête, ce qui créée comme un creux derrière mon crâne. L'idée du cancer était facile.

J'ai pris la parole devant la classe, avec la permission de mon professeur principal, et j'ai expliqué que, après avoir affronté des hommes qui n'ont que trop voulu me considérer comme un objet, j'ai cherché à me dénaturer, pour ne plus attirer le regard. Il y a eu un silence, et puis quelqu'un, à l'arrière de la classe, a applaudi, et j'ai fait face à une ovation, dont j'étais le sujet.

De signe astrologique lion, je me suis toujours escrimé pour être une battante, une lionne au regard qui porte loin. Mais à ce moment là, face à des jeunes qui ont applaudi pour me soutenir, je me suis senti tellement soulagée, tellement acceptée. Je n'ai plus eu besoin de me battre : on m'acceptait tel que j'étais.

Mes cheveux ont repoussés. En presque deux ans, j'ai pu passer par de nombreux niveaux capillaires. Je les ai laissé assez pousser pour avoir une frange : j'ai coupé. Car je me suis rendu compte que ce qui me va vraiment, ce qui me définit, ce sont ces mèches courtes qui flirtent à peine avec mon front. Ces mèches courtes qui me font assumer mes rondeurs, et qui mettent mon visage en valeur. Ces mèches courtes que la femme que j'aime a pu saisir entre ses doigts et les tirer, pour venir poser sa bouche contre la mienne. Ses doigts dans mes cheveux courts sont une sensation que je n'oublierais pas. Que je ne peux pas oublier. Quand elle se penche sur moi et qu'elle me dit « Tu es belle, coupe toi les cheveux », avec un demi-sourire, je ne me dis pas « Je me coupe les cheveux pour elle ». Pas seulement. Je me coupe les cheveux parce qu'aujourd'hui je me trouve belle, j'ai trouvé l'amour, et qu'il y a milles mots qu'elle m'a soufflé dans les mèches. Des mots à moi, à elle ; une histoire à nous qui est accrochée dans mes cheveux.

Et quand je coupe mes cheveux, je cultive cette histoire.

La mienne.

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